Hyperespaces
écologiques
de communautés
Néolithiques
dans les Pyrénées
méditerranéennes

Jean Philippe BOCQUENET

Dessins : Yves BOUQUET

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Localisation et définition de l'aire étudiée 
L'emprise de l'étude concerne à la fois les départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. A l'ouest, elle est limitée par la vallée de l'Aude, au nord, l'aire étudiée vient buter sur les premiers contreforts de la Montagne Noire, et rejoint le littoral méditerranéen au niveau de la commune de Béziers. A l'est, la partie orientale des Corbières se jette dans la Méditerranée. Au sud, le territoire suit le cours de la rivière la Têt qui traverse la plaine du Roussillon, puis il remonte légèrement vers le nord-ouest en suivant la rivière de la Casteillanne pour rejoindre la vallée de l'Aude aux gorges de Saint-Georges à Axat. Dans ce quadrilatère, de nombreux sites archéologiques ont été détruits, et certaines zones n'ont pas encore été reconnues. La vallée de l'Aude a dû jouer un rôle important dans la pénétration des groupes humains au coeur des Corbières et de la Montagne Noire, et dans les relations entre l'Atlantique et la Méditerranée. De nombreuses voies de passage, dans les Corbières et sur le littoral méditerranéen, ont permis une pénétration aisée des principaux massifs par les hommes et les courants culturels des différentes civilisations du néolithique. 

Les habitats
On connaît peu d'habitats d'époque néolithique dans les Corbières. La végétation très dense empêche toute reconnaissance de site de plein air. Seuls, les défonçages de parcelles ou la création de routes et de pare-feu mettent parfois au jour des vestiges attestant une telle occupation. S'agissant plus particulièrement des habitats en grottes, ceux-ci sont assez peu représentés dans les Corbières. Seules, deux ou trois grottes témoignent d'une telle utilisation. Les vestiges sont généralement concentrés vers l'entrée de la cavité car elle offre une bonne luminosité tout en permettant l'évacuation des fumées des foyers. 

Les sépultures 
Les sépultures préhistoriques dans les Corbières se présentent sous différentes formes. On ne connaît pas de sépultures du paléolithique dans le massif des Hautes-Corbières. Par contre, l'époque néolithique est représentée par un grand nombre d'inhumations, soit en grottes, soit sous monuments mégalithiques. Ces derniers représentent des caveaux construits en grosses pierres et recouverts d'un tertre de terre et de blocs. Les dolmens, quelle que soit leur localisation dans le monde sont des monuments constitués de grosses dalles ayant servi de sépultures collectives. La région des Corbières reste encore méconnue alors qu'elle est l'une des plus riches en monuments préhistoriques. 
Le culte de la mort tend à prendre une importance considérable dans les peuplades de la fin du néolithique. Ce culte peut provenir de plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci existe l'apparition de grandes épidémies, sans doute liées à la promiscuité de l'homme et des animaux. Face à un nombre de morts grandissant, il devenait nécessaire d'inhumer (ou de brûler) rapidement les corps. Le lieu de sépulture devait être proche et facilement accessible. Une peur grandissante de la mort, une attirance vers des valeurs profondes comme le rattachement à la terre, ont pu exalter un culte chthonien latent qui se dessinait déjà au néolithique moyen-ancien (Montbolo), comme le montrent l'exemple de la grotte de Bélesta-de-la-Frontière où une des salles contenait une trentaine d'individus inhumés, celui des peuplades chasséennes (Le Camp del Ginèbre - Caramany) où apparaissent les premières incinérations, ou la culture des "Sépulcros de Fosa". 
Parmi les sites ayant servi de lieux de sépulture, on trouve également les cavités naturelles, grottes ou failles. Les failles sont généralement plus utilisées que les grottes. Elles contiennent en moyenne deux ou trois individus. Les plus grandes peuvent en contenir jusqu'à une dizaine (Las Claousos - Auriac). Le processus d'élection d'un type de sépulture (grotte ou dolmen) n'est pas appréhendable. Il n'existe pas d'indices permettant de comprendre quelles étaient les motivations qui présidaient à un tel choix. 

Les statues-menhirs 
Une seule statue-menhir a été découverte à ce jour sur l'aire d'étude. La statue-menhir de Caramat se trouve sur la commune de Puyvalador en Capcir (Canton de Mont-Louis) dans l'extrémité occidentale des Pyrénées-Orientales. 
L'absence de mobilier associé interdit toute datation précise, et aucun indice ne permet de rattacher cette statue à une sépulture. En raison de son extrême simplicité dans sa forme anthropomorphique et son dénuement au niveau des vêtements et des parures, elle est très différente des statues-menhirs des groupes définis par J. Landau et J. Arnal. Son dépouillement incite à la placer dans un contexte néolithique final - chalcolithique au sens large.

Concepts d'hyperespaces écologiques 

A travers la notion d'hyperespace écologique, la démarche amorcée tend à mettre en évidence la relation dynamique qui existe entre un groupe humain et son milieu, chacun façonnant l'autre. Le concept d'hyperespaces écologiques met en lumière l'ensemble des comportements de groupements humains - leurs habitudes, leur économie, la structure des villages, etc -. Rapporté à la préhistoire, ce concept va fédérer la recherche des traces d'une adaptation de l'homme aux exigences de l'environnement en vue de faire parler les indices d'une civilisation sans mémoire. Il s'agit, en quelque sorte, d'ébaucher une éthologie des communautés néolithiques à l'aide des empreintes qu'elles auront pu laisser sur le milieu, mais aussi en examinant les qualités intrinsèques de ce milieu au regard des techniques qui permettaient de le maîtriser. 
 
  
 

Paléodémographie aux différentes époques 
Le travail sur la paléodémographie dans les Pyrénées de l'est peut être segmenté en plusieurs approches. Selon les hypothèses abordées, plusieurs méthodes peuvent être utilisées. 
1......Calcul de la population de l'Aude au Néolithique.
2......Calcul de la population connue au chalcolithique en sépulture. Découpage en zones et estimation de chaque zone.
3......Calcul de la population connue au chalcolithique en sépulture. Estimation de la population par type de sépulture et estimation par zone.
4......Calcul de la population connue au chalcolithique en sépulture. Estimation de la population.
5......Calcul de la population connue au chalcolithique en sépulture. Estimation d'inhumés par type de sépulture et estimation par zone.

Sociologie de groupes restreints : La dynamique des groupes anciens. 
Le terme " dynamique des groupes " englobe deux critères fondamentaux qui sont la dynamique qui exprime un mouvement, du moins une évolution de différents individus dans un groupe ou d'un ensemble de groupes. Le second terme est le mot " groupe " qui possède un sens beaucoup plus large que celui qu'on lui accorde généralement. Il englobe des ensembles sociaux de taille et de structure variées. Parmi les applications relevant de la dynamique des groupes, il en est un qui est relativement important puisqu'il vise à comprendre la régulation d'une collectivité globale ou l'un de ses secteurs important. Le sens commun de dynamique des groupes désigne une pluralité des individus et leur solidarité implicite, qui sont à la fois dépendants et mobiles du groupe. Le terme de " groupe " exprime une certaine force. Le fait de se regrouper constitue une puissance à la fois psychologique et physique plus importante que celle d'un individu isolé. Tout phénomène de groupe apparaît lié à un devenir impliquant une vie et une force spécifique. Cela exprime clairement le terme de " dynamique de groupes ". 
La dynamique de groupes s'inscrit dans une perspective sociologique mettant en évidence les comportements conjugués d'individus au sein de groupes évoluant en parallèles et en interactions. Les changements techniques, économiques, démographiques, affectent à la fois les rapports de l'homme aux objets - la nature du travail et le genre d'habitat - mais aussi les relations des hommes entre eux en particulier à la suite du développement croissant de l'urbanisation. L'ébranlement des modes traditionnels d'autorité - familiale, professionnelle, communautaire - suscite la recherche de nouveaux équilibres et de nouvelles formules d'intégration psychosociale et donc un réarrangement des groupes et des relations en groupes. 

Des superstitions aux religions 
Lorsque le groupe humain à une réalité sociologique spécifique, il est vécu sur un mode imaginaire dans le champ psychologique des individus. Ce phénomène se traduit par des images, des affects et des imputations de tonalité persécutive concernant les autres et surtout le leader. Celui-ci a le sentiment d'être observé, soupçonné, manipulé et rejeté. Il est évident que tout système d'autorité que ne vient pas tempérer une certaine bienveillance est indésirable, car la bienveillance est une accumulation complexe d'impulsions, de réactions et de réalisations diverses, hautement nécessaire au parfait arrangement des créatures hétéroclites que sont la plupart des individus. C'est fondamentalement une faiblesse - ou dans certains cas un étalage de supériorité sécurisant - mais son effet est en lui même souhaitable. De nos jours, il nous ait possible de reconnaître que la religion est un phénomène anthropologique tout à fait naturel et inévitable de son temps, et qui possède même encore la beauté et la dignité résiduelle qu'il acquit lorsqu'il se trouvait être le réceptacle des sentiments humains les plus élevés et la symbolisation cérémonielle des principes de l'existence. 

L'économie 
Dans les Corbières, une activité économique intensive est attestée à partir de la préhistoire récente. Auparavant, elle se limite vraisemblablement à une économie locale avec des échanges commerciaux de proximité. Dès le néolithique, les échanges deviennent plus importants. Le commerce de l'ambre s'effectue avec les peuples de la mer du nord, certains types de silex, inexistants dans la région, proviennent de Provence. Au néolithique final, le cuivre devient un facteur économique important. Les gisements ayant livré des objets en cette matière sont rares. On connaît des anneaux et des perles issus de monuments mégalithiques. L'or existe aussi. Un des dolmens de Salza contenait une lame en or et un des dolmens de Massac, quatre petites agrafes dans le même métal. L'arrivée des campaniformes a bouleversé les fondements économiques locaux. Cette population a laissé des traces dans toute l'Europe et sur le pourtour du bassin méditerranéen. L'économie s'intensifie. Les nouveaux arrivants introduisent les boutons en os perforés en V, le brassard d'archer et les céramiques décorées de motifs au peigne ou à la corde. A cette période, succède l'âge du bronze qui voit la découverte de cet alliage. De cette époque, on retrouve des anneaux, des bracelets et des haches dans certains monuments mégalithiques et surtout des caches de fondeurs (Fourtou). Progressivement, le fer remplace le bronze à la période pré-romaine. C'est à cette époque que s'intensifie l'extraction des minerais (fer, argent, or, cuivre) dans les Corbières et que s'établissent définitivement les chemins importants vers la plaine littorale et la vallée de l'Aude. 

La métallurgie 
Des artefacts très certainement dédié au travail de la métallurgie ont été découverts sur la commune de Puyvalador. Ce site se trouve sur une moyenne terrasse du fleuve Aude qu'il domine à l'ouest. Cette terrasse forme un replat assez important o˜ a pu s'établir vers la fin des temps néolithiques, un habitat qui s'est maintenu jusqu'à nos jours puisque le petit village de Puyvalador se retrouve à une centaine de mètres au nord sur la même terrasse. Parmi le mobilier qui se retrouve habituellement sur les sites de plein air du Néolithique final au Bronze ancien, trois galets plus ou moins taillés et polis ont été identifiés. Deux possèdent une cupule sur des faces opposées et un possède une cupule sur une seule face. 
Ces trois outils retrouvés hors contexte archéologique sont des marqueurs typiques d'une économie minière axée sur le travail du cuivre. Ce fait a été établi lors des travaux sur le complexe minier de Cabrières dans l'Hérault. Ces recherches - essentiellement menées par Paul Ambert - ont mis en évidence l'utilisation de ce type d'outil dans la préparation du minerai de cuivre, bien que l'on ne connaisse pas l'usage qui en était fait. 

Les ateliers de fabrication de perles 
De nombreux sites situé dans la partie septentrionale des Pyrénées méditerranéennes ont livré des vestiges de coquillages marins ayant servi à la confection de perles discoidales. La fouille de l'atelier de perles de Durban (Aude), a permis d'attribuer ce genre de site à la culture du Bronze ancien. 
A partir du mobilier recueilli sur ce site mais aussi sur les différents sites des Corbières, il est possible de retracer le mode de fabrication des perles en coquilles de cardium et de définir différentes étapes d'ébauches de perles au cours de cette fabrication. Ces perles sont essentiellement façonnées à partir de coquilles de cardium de différentes tailles. 
Ces perles terminées se retrouvent en grande quantité, en contexte funéraire, grottes et dolmens de la région des Corbières. Leur présence homogène sur l'ensemble du massif et leur présence uniquement dans les sites funéraires ne permet pas de dégager des voies de circulation précises. Il semblerait que la production ait diffusé tout autour des ateliers de fabrication et se soit répartie sur l'ensemble du massif par le biais d'échanges. 

Les " Cami ramader " 
La banalisation de l'emploi du mégalithe d'une part, surtout vers la fin, c'est-à-dire au Bronze ancien et au Bronze moyen, et son usage restreint (quelques individus seulement par sépulture) d'autre part, plaident en faveur d'un éparpillement de peuplades qui ont opté pour un mode de vie semi-sédentaire pour s'adapter aux contraintes de l'élevage. Des chemins de transhumance et des cortals de différentes communes des Corbières et des Pyrénées attestent d'une utilisation pastorale intensive des plateaux jusqu'au XIIIème siècle. La commune de Fitou est un exemple significatif à cet égard. Le village est dominé par des plateaux qui comportent de nombreux cortals. Ceux-ci étaient destinés à trier les troupeaux qui provenaient de la région narbonnaise, notamment de l'abbaye de Fronfroide, et qui se rendaient sur les pâturages des Pyrénées. 
La plupart des dolmens des Corbières et du Roussillon se trouvent sur des chemins de transhumance exploités au XIIIème siècle. L'hypothèse la plus probable est que les chemins de transhumance se construisent progressivement au gré des contraintes du nomadisme dont les itinéraires répondent à la nécessité de relier des lieux d'habitat (et certainement aussi de sépulture) semi-permanents, saisonniers ou temporaires (avec des occupations à intervalles plus ou moins réguliers). Les contraintes liées à la propriété du sol n'interviennent que beaucoup plus tard, avec la colonisation romaine. 

Voies de passages 
Durant la préhistoire ancienne, les chemins devaient être d'usage très limité. Avec l'arrivée de l'élevage, de l'agriculture et des échanges commerciaux, les voies de communication ont dû connaître un essor considérable, au rythme de la multiplication des échanges entre communautés voisines. Il est difficile de retrouver de tels chemins. Seuls, quelques indices nous permettent d'établir leur implantation approximative. Des oppidums pré-romains comme Pierre Pagès, Peyrepertuse, Cedeilhan et le Carcassès devaient jouer le rôle de gardiens le long des tracés protohistoriques. En fait, il est peu probable que les itinéraires utilisés soient différents des parcours plus anciens pouvant dater du néolithique final. La plupart des chemins d'échange ont dû réutiliser des points de passage existants. Le fait est attesté par la reprise de lieux stratégiques tels que les oppidums pré-romains. En outre, la nécessité de développer les axes de circulation a sûrement été dictée par le besoin d'acheminer le minerai vers des régions de traitement ou d'exportation situées dans la plaine du Roussillon ou dans la vallée de l'Aude. 

Conclusion 
Ce travail s'inscrit dans le cadre d'une thèse à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à l'antenne de Toulouse, sous la direction de Jean Guilaine. Les textes et les recherches sont amenées à évoluer chaque jour en fonction de nouvelles découvertes, de la recherche bibliographique, et aussi en s'adaptant aux remarques pertinentes qui peuvent être formulées. 
Longtemps délaissé par les archéologues, le massif des Corbières voit soudain un regain d'intérêt pour la recherche scientifique. Il est amené, à plus ou moins long terme, si ce n'est livrer tous les secrets de son histoire, permettre de mieux cerner son exploitation au cours du temps et définir le rôle qu'il a pu jouer sur les populations humaines préhistoriques qui l'ont habité. 

Voir aussi : 

Toutes suggestions et critiques sont les bienvenues et me permettrons de progresser dans ce travail. Merci d'avance. 
 
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