Architectures et cultures mégalithiques dans les Pyrénées méditerranéennes

(Texte du colloque de Puigcerdà - 1994)

De nombreuses questions se posent quant à l'origine et à l'ampleur du phénomène mégalithique dans les Pyrénées méditerranéennes. Bien que les monuments soient assez nombreux, les études et les publications traitant de ce sujet sont assez rares. Lorsqu'elles existent, elles ne représentent jamais, à une ou deux exceptions près, une monographie importante. C'est le constat de cette carence qui nous a conduit à entreprendre un tel travail. Jean Guilaine fut l'un des seuls à présenter, en 1972, l'étude complète d'une nécropole mégalithique. Il s'agissait des monuments de La Clape, situés sur la commune de Laroque-de-Fa dans l'Aude. Dès cette époque, il abordait certains problèmes tels que : la provenance des matériaux, la typologie et le rattachement à des groupes culturels, l'origine des courants d'influences sur chaque type de monument. Bien entendu, ces interrogations s'appliquaient uniquement aux constructions de la nécropole étudiée. Ces premières recherches restèrent sans lendemain. L'essentiel de la documentation provient, d'une part des fouilles de J. Guilaine et de J. Abelanet, d'autre part de zones mieux étudiées telles que le nord des Corbières ou la plaine du Roussillon. Cependant, certains indices font présumer une occupation totale du territoire par les civilisations mégalithiques, ce qui tendrait à montrer que celles-ci n'ont pas été gênées par le relief accidenté des Pyrénées.


Les types architecturaux

La cella.

Toutes les études architecturales effectuées jusqu'à maintenant sur les dolmens du Roussillon et des Corbières se sont limitées à l'examen de la cella. Il est vrai que les tumuli ne sont que très rarement reconnaissables, et généralement sur de faibles élévations. L'étude typologique des cella contraint à élargir la zone d'étude si l'on veut appréhender tous les courants d'influence qui ont pu jouer. Les types de cella existant dans les Corbières peuvent se retrouver dans les garrigues languedociennes ou sur le versant espagnol des Pyrénées. Les dolmens de l'aire englobant l'Aude, les Pyrénées-Orientales et la Catalogne espagnole, forment un ensemble indissociable, et il ne faudrait pas, sous le prétexte d'une frontière établie récemment par les hommes, étudier indépendamment les deux versants des Pyrénées. Tous les monuments inventoriés dans les Corbières ont été classifiés par comparaison avec les différents types identifiés dans les régions avoisinantes (Catalogne, Languedoc). Plusieurs groupes architecturaux peuvent être dégagés dans l'aire pyrénaique, qui ne correspondent pas forcément à des périodes culturelles spécifiques :

Les incinérations :

Les sépultures à incinération du néolithique moyen-ancien connues à ce jour, se divisent en deux catégories. Elles ont été mises en évidence au Camp del Ginèbre à Caramany (Pyrénées-Orientales).

Les cistes :

Dans l'état actuel des connaissances, on peut distinguer trois types de cistes du néolithique moyen en Catalogne et dans les Corbières en fonction de leur morphologie :

Ces trois types sont datés du néolithique moyen-ancien en Catalogne.

Les dolmens polygonaux (ou sub-circulaires) à vestibule ou couloir :

Les dolmens polygonaux à vestibule seraient contemporains des dernières sépultures en fosses du néolithique moyen et se trouveraient calés en chronologie non calibrée dans la première moitié du troisième millénaire. Ces monuments sont composés de plusieurs dalles, généralement de faible largeur, qui délimitent une chambre subcirculaire ou polygonale. La dimension moyenne des chambres est de 1.30 x 1.10 m. pour une hauteur d'environ 1.00 m. De cette cella, part un couloir de largeur à peu près identique : 1.10 m. pour une longueur d'environ 1.80 m. Sa hauteur, plus petite que celle de la chambre, fait en moyenne 0.70 m. Le tumulus, de forme circulaire, présente une faÁade légèrement plane. Il est constitué de dalles et de terre. Il n'existe qu'une dalle de couverture. En Catalogne, on recense cinq dolmens fouillés appartenant au type des dolmens polygonaux à couloir (Font del Roure, Arreganyats (Espolla), Gutina, Tires Llargues (Sant Climent), Sescebes, El Estanys II (La Jonquera)). Il est possible de reconnaître des vestiges de mobilier du néolithique moyen dans les dolmens polygonaux. Il existe deux datations C 14 de dolmens polygonaux en Catalogne du sud. La première donne 5400 +/- 100 B.P. = 3450 B.C. (UGRA-148) et la seconde 5090 +/- 160 B.P. = 3140 B.C. (GAK-12.162). Dans les Corbières, les monuments se rattachant à ce type sont peu nombreux.
Le plus caractéristique est le dolmen VIII de la Clape à Laroque-de-Fa. Le mobilier trouvé à l'intérieur correspondrait à une utilisation au néolithique moyen-final.

Les dolmens à couloir rétréci long (type languedocien) :

Certains dolmens des Corbières possèdent un couloir d'accès bien différencié de la cella. Leur type architectural se rapproche de celui de certains dolmens languedociens. Dans les Corbières, la cella est constituée d'une ou plusieurs dalles verticales pour chacun des côtés. Ses dimensions moyennes sont d'environ 2.05 m. pour la longueur, 1.25 m. pour la largeur et 1.34 m. de hauteur. L'ouverture est orientée au sud sud-est. Le couloir, construit pour l'essentiel en petit appareil, mesure environ 2.55 m. de longueur pour une largeur de 0.70 m. et 0.90 m. de hauteur. La couverture est généralement constituée d'une seule dalle, ce qui laisse à penser que les autres dalles étaient de moindre importance. Le tumulus est toujours circulaire et constitué entièrement de pierres. Sa périphérie est bordée par un mur concentrique à parement uniquement externe. Le diamètre moyen des tumuli est de 9.70 m. Les monuments sont généralement regroupés en nécropole. Le peu de mobilier retrouvé dans le dolmen VII de La Clape à Laroque-de-Fa et celui de la Barraca à Tarerach permet de les dater du néolithique final - vérazien. L'origine architecturale de ces monuments se trouverait dans la zone catalane o˜ les premiers monuments à chevet engagé furent édifiés à la fin du 4eme millénaire.

Les dolmens simples :

Ont été classés comme dolmens simples beaucoup de sépultures à couloir rétréci ou dolmens quadrangulaires à côtés et sommet convergents vers l'entrée, qui avaient perdu leur couloir d'accès. Il n'a jamais été possible de vérifier l'architecture primitive de ces dolmens simples. Le tumulus possède en moyenne un diamètre de 4.50 à 8.00 m. et est constitué de blocs (cairn). Ce type de sépulture est daté du néolithique moyen en Catalogne.

Les dolmens quadrangulaires à côtés et sommet convergents vers l'entrée :

Ce type de monument se rencontre sur une aire assez vaste qui englobe l'Aude, les Pyrénées-Orientales et la Catalogne du sud. Les monuments qui ont été classés sous ce type sont aussi appelés pseudo-allées couvertes, allées couvertes catalanes, ou dolmen de type Aude. Ces termes ont toujours été employés, bien que souvent dénoncés comme inappropriés aux monuments qu'ils se proposaient de désigner. Les dolmens quadrangulaires à côtés et sommet convergents vers l'entrée présentent souvent une ante-cella dont les montants latéraux s'abaissent fortement et simultanément vers l'entrée. Dans la plupart des cas, il n'existe qu'une seule dalle de couverture sur ce genre de monument, ce qui exclut totalement leur appartenance aux véritables allées couvertes. Il s'agit d'une variété assez indifférenciée de dolmens à couloir, intermédiaire entre le dolmen à couloir rétréci et la véritable allée couverte. La hauteur des supports latéraux n'est pas uniforme, elle va croissant de l'entrée au fond de la cella. La chambre proprement dite mesure généralement entre 2.00 et 4.00 m. de longueur si l'on ne tient pas compte de la partie ante-cella, et environ 1.20 m. de largeur pour 1.20 m. de hauteur. La longueur de l'ante-cella peut varier entre 2.00 et 3.00 m. de longueur pour une largeur voisine de 1.00 m. Les tumuli mesurent entre 6.50 et 12.00 m. de diamètre et sont conservés sur environ 0.60 m. L'apparition des dolmens quadrangulaires à côtés et sommet convergents vers l'entrée correspond à un événement charnière du mégalithisme.

Les dolmens semi-enterrés :

Il existe un type de petit dolmen à la limite de la ciste, mais à tendance majoritairement mégalithique. Il s'agit des dolmens simples semi-enterrés. En règle générale, ces monuments ne sont constitués que de trois dalles verticales incluses dans un tumulus circulaire. Ils sont classés sous le terme de dolmens semi-enterrés parce que la cella est en partie creusée dans le sol. La chambre a une longueur d'environ 1.30 à 1.50 m. pour une largeur moyenne d'environ 1.20 m. Les tumulus, de forme circulaire, mesurent en moyenne 6.10 m. de diamètre, et sont conservés sur 0.40 m. d'épaisseur. Sur cette formation de base, interviennent quelques modifications entraînant des différences typologiques. C'est ainsi que peuvent se regrouper sous cette terminologie certains dolmens à porte-fenêtre, des dolmens à vestibule-puit.


Conclusion

On regardera comme probable l'existence d'une phase dolménique initiale, sépulture à couloir avec chambre sub-circulaire dans la seconde moitié du quatrième millénaire (néolithique moyen). Tout semble indiquer que l'hypothèse la plus vraisemblable est celle d'une origine locale des dolmens polygonaux à partir du fond mégalithique indigène composé de cistes aériennes ou semi-enfouies avec tumulus du néolithique ancien-moyen (Postcardial) de la Catalogne. Il y aurait ensuite un forte expansion des dolmens à couloir rétréci à chambre trapézoidale, dans la première moitié du troisième millénaire (néolithique moyen-final).

On peut présumer un certain ralentissement dans la construction de nouvelles tombes mégalithiques dans la seconde moitié du troisième millénaire (néolithique final, chalcolithique), du type des dolmens à couloir avec chambre rectangulaire et dolmens quadrangulaires à côtés et sommet convergents vers l'entrée, sûrement parce que les anciens dolmens furent en majeure partie réutilisés. Il est intéressant de noter que la distribution des sépultures à couloir dans l'Alt Empordà et le Roussillon laisse supposer la présence de groupes sédentaires avec villages, nécropole et lieu de culte ou de réunion. Enfin, à la fin du troisième millénaire et au début du deuxième millénaire (chalcolithique, bronze ancien/moyen), arriveraient, en provenance des Pyrénées occidentales o˜ va se former un mégalithisme tardif, les dolmens simples, semi-enterrés, à vestibule-puits, ou à porte-fenêtre. Parallèlement à la construction de ces petits monuments, les dolmens construits à des époques antérieures, tels les dolmens à couloir et les dolmens quadrangulaires à côtés et sommet convergents vers l'entrée, vont être très largement réutilisés. Cette banalisation de l'emploi du mégalithe et sa faible exploitation plaident en faveur d'une répartition de peuplades plus mobiles, sans doute semi-sédentaires pour s'adapter aux contraintes de l'agriculture et de l'élevage. Le culte de la mort tend à prendre une importance considérable dans les peuplades de la fin du néolithique. Une peur grandissante de la mort, une attirance vers des valeurs profondes comme le rattachement à la terre, ont pu exalter un culte chthonien latent qui se dessinait déjà au néolithique moyen-ancien Montbolo. Certains courants d'influence sont déjà perceptibles, par exemple pour les dolmens à couloir large de type "languedocien" qui auraient pour origine la Catalogne sud, ou encore les dolmens simples semi-enterrés qui proviendraient des Pyrénées occidentales.