Ombre et lumière :
Louis Beaupie, Augustin Cauneille, Jean et Marguerite Esteve, Rolande Justafré,
Louis Lafage, Gaston Coumes, Léon Jules Mérou, Jean Morata, Michel
Raynaud, Marie-Rose Rivière, Lucien Sanchez, Vincent Saura, Henri et
Mimi Segui, Henri Torrent
1878.....
Ecrasé sous l'étouffante chaleur de l'été, le Fenouillèdes
semble comme endormi. Au milieu de ces vallons et collines arides, les vignerons
arpentent les vignes inlassablement. Cette apparente torpeur dissimule pourtant
une étrange activité liée au traitement des cépages.
Arrivé en France en 1862 et en Languedoc en 1864, en provenance du continent
américain, le phylloxera se répand rapidement détruisant
pratiquement tous les vignobles. Maury ne fait pas exception à la règle
et subit ce fléau de 1876 à 1877. Toutes les vignes sont détruites.
En cette année 1878, tous les vignerons sont à pied d'oeuvre pour
reconstituer le vignoble. C'est dans cette atmosphère qu'un dénommé
Bonnerie, ouvrier maçon de Saint-Paul-de-Fenouillet, épris de musique,
communique sa passion à quelques jeunes du village qui en font leur professeur.
Il les forme par l'étude du solfège bien appris,puis les aide
dans le choix d'un instrument à vent, instrument qu'il était capable
d'enseigner. Certains optent pour le chant. Bonnerie réunit ses élèves
au local Mège, sur la place de la Mairie, et sous sa direction, ont lieu
les premières répétitions. Celles-ci étaient suivies
avec assiduité. Après avoir fini ses travaux sur Maury, Bonnerie
s'en retourne à Saint-Paul-de-Fenouillet, laissant là le noyau
d'apprentis musiciens. Ceux-ci ayant contracté la sérieuse habitude
de se réunir pour jouer n'abandonnent pas et décident de continuer.Par
ailleurs, les élèves ayant convaincu d'autres maurynates, les
ont instruits à leur tour dans la lecture musicale et ont su leur insuffler
le goût d'un instrument que chacun choisissait selon son penchant.
1885
C'est de ces quelques " apôtres " de Bonnerie et des nouveaux venus que
naquit " l'Union Musicale " en 1885 et peu d'années après,
l'Orphéon de Maury.
Cette année là, un dimanche 16 mars, dans le "café du Tir",
lors d'une assemblée générale
se concrétisa l'idée de créer une formation musicale....
Une harmonie.
Lors de cette assemblée générale
étaient présents :
Joseph Bories, Samuel Rontes, Louis Rivière, Dominique Auriol, Aristide
Barthelemy, Jean Villa, Francois Mérou, Balthazar Villa, Victor Pons,
Augustin Auriol, Albin Auriol, Pierre Auriol, Justin Rouffia, Jean Flamand,
Benjamin Daure, Francois Montagne, Roch Bories, Francois Giraud Montagne, Francois
Catala, Louis Auriol, Joseph Cauneille, Antoine Armingaud, Edouard Catala, Antoine
Salvat, Emile Pujol, Firmin Darton, Augustin Vessier, Crabie Pierre, Pierre
Blanche, Francois Boulan, Zephir Burgat, Antoine Burgat, Clovis Burgat, Faustin
Burgat.
35 personnes faisaient alors partie du groupe qui allait s'appeler désormais
" Union Musicale de Maury ". Les statuts
sont créés.
L'Union Musicale toute jeune s'est très rapidement enrichie de
70 exécutants et cela est particulièrement encourageant. Alors
elle prend confiance et s'essaye ; les musiciens se rodent, se conditionnent
; les programmes sont sérieusement étudiés et alors, l'Union
Musicale connaît son premier succès .
1890
En 1890, soit seulement 5 ans après sa création, elle décroche
à Perpignan, lors d'un concours de formations musicales de son type,
le 3eme prix : une médaille de bronze à suspendre à
sa bannière, car elle s'est dotée de son emblème.
A la proclamation des résultats toute la musique, comme électrisée,
exécute de pied ferme, une splendide Sambre et Meuse enlevée que
le public enthousiasmé applaudit longuement. Inutile de dire ce que fut
le retour au pays... Un immense bravo ! Tous ces succès n'étaient
pas le fait du hasard. Ils étaient dus à un profond amour de la
musique et aussi à un travail méthodique et quasi quotidien. Lorsque
les hommes rentraient de la vigne, avant le repas du soir, s'élevaient
dans chaque coin de rue des notes soigneusement travaillées qui provenaient
de divers instruments : les arpèges d'une clarinette, les trilles d'une
flûte traversière, quelque éclat feutré d'une trompette
ou d'un cornet, les accents romantiques d'un trombone à coulisse, les
graves soutenues d'une basse ou d'un baryton, le velours d'un saxophone alto,
celui plus chaud d'un saxo ténor, le flageolet de Raoul qui imitait les
trilles de l'alouette et parfois même l'appel d'un clairon ou le roulement
d'un tambour. Symphonie désordonnée que la baguette du chef mettrait
en forme. Ainsi les musiciens s'exerçaient inlassablement chez eux. Il y avait
un musicien presque dans chaque maison, ce qui faisait dire aux étrangers
: A Maury tout le monde est musicien . C'était vrai.....
1907
La venue à Maury du jeune docteur Roucaché bouleversa la position confortable
de la municipalité présente avec M. Villa comme maire et président de la Société
de Secours Mutuel de Maury (début de sécurité sociale à usage communal). Etant
docteur, et, il faut le dire, de tendance progressiste (socialiste à l'époque)
M. Roucaché ayant accès aux comptes de la Société, s'interrogea sur la gestion
des "notables", les "gros" comme on disait alors (et encore). Il constata certaines
"erreurs" dans cette gestion et les dénonça au Maire, ce qui ne fût pas du goût
de celui-ci qui ne trouva comme réponse que de le révoquer et de changer de
docteur pour la Société de Secours Mutuel. Celle-ci fut coupée en deux
La Fraternelle et l'Humanité. D'où la révolte d'une partie de la population
et la formation de deux clans: les Socialistes et les Bourgeois. La haine s'installa
; rixes et bagarres firent rage pendant 7 ans ; des familles même, furent
profondément divisées ; Certains habitants de Maury étaient soit
journaliers, soit petits propriétaires qui cherchaient de quoi ajouter à leur
maigre revenu. Ceux-ci furent animés d'un sentiment d'injustice sociale et,
dans l'autre camp les nantis et leurs valets ou courtisans ou suivant leurs
convictions politiques (dixit: "Cal votar pels riches que nos fan viure!" en
occitan "Il faut être du côté des riches qui nous font vivre ). Se sachant
minoritaire, la partie au pouvoir, lors des élections municipales, fut à l'origine
de provocations et ce fut le docteur Roucaché qui fut élu.
L'Union Musicale subit le même sort que la Société de Secours
Mutuel. Il y eut deux musiques l'Union et l'Harmonie.
L'Union continuait à être dirigée par Claude Flamand, tandis
que Raymond Fouga dirigeait l'Harmonie. La première répétait
dans la grande salle du domicile de son chef, la seconde dans une salle attenant
à la mairie au premier étage de l'immeuble. Il y eut 2 hymnes
; La Marseillaise et L'Internationale. Il y eut même 2 bals sur la place
publique avec deux orchestres. Lorsque celui de la municipalité Villa jouait,
les danseurs "Bourgeois" occupaient toute la place. Quand c'était au tour des
"Socialistes" ils se contentaient, dans un soucis d'équité d'occuper la moitié
de la place.
Pourtant, avant d'être définitivement cassée en deux, il
semble que l'Union Musicale ait pu participer au grand complet à
un concours qui eut lieu à Marseille, en 1908. Malgré les dissensions
qui devaient commencer à l'agiter, elle s'en tira tout à son honneur,
y remporta un deuxième prix avec attribution d'une médaille d'argent.
Encore un beau succès.
1914
Le 2 août 1914 remit les pendules à l'heure et la guerre qui dura quatre
ans réconcilia les antagonistes devenus frères d'armes. Ils comprirent
que la querelle qui divisait le village devait prendre fin. Inutile de préciser
que durant cette terrible épreuve de 4 ans, il ne fut pas question de
musique. On en reparlera juste quelques années après l'armistice
de 1918. Trop de jeunes parmi lesquels des musiciens étaient morts pour
la France et l'Union Musicale s'en ressentait cruellement à double
titre: deuil et effectif. Cependant, la sociéte se réunifie vers
1920 - 1921 et Raymond Fouga qui dirigeait L'Harmonie dissoute par fusion avec
l'Union, en devint sous directeur avec le titre de clarinette solo.
1923
Mais en 1923 Claude Flamand dit " jan de la musico " décède. Il
laisse des compositions très attachantes et d'une belle qualité
harmonique, qui sont aujourd'hui déposées aux archives de la société.
En voici quelques titres :
Les musiciens sont logés au lycée Frédéric Mistral.
Le 30 juillet, un défilé monstre est organisé en ville
auquel participaient avec l'Union Musicale, les fanfares des 9eme
(Antibes) et 22eme (Nice) bataillons de chasseurs alpins, la musique
du 3eme régiment d'infanterie alpine d'Hyères, la musique
de la 4eme région aérienne basée à Aix-en-Provence,
une nouba de tirailleurs marocains, la musique du 7eme génie,
la fanfare à cheval de la garde républicaine. L'Union Musicale
donna la nuit un concert au kiosque à musique de l'île de la Bartelasse,
sur le Rhône avignonnais. Elle exécuta, entre autres, la belle
pièce composée par son premier directeur et fondateur Claude Flamand
"Echos Roussillonnais" ; c'était de circonstance.
Cette nuitée fut clôturée par un magnifique feu d'artifice
dont le " clou " représentait une main pressant une grappe de raisin
dont le jus coulait dans une coupe ; ce jus débordait et écrivait
en lettres de feu "gloire aux vins de France".
Il faut saluer au passage la performance des artificiers qui avaient su réaliser
ce splendide embrasement.
Le lendemain 31 juillet eut lieu un imposant défilé de chars fleuris
représentant les provinces françaises.
L'Union Musicale de Maury a l'honneur d'ouvrir le défilé.
Arrivée devant la tribune officielle elle déboîte pour se mettre
au pied ferme tout en continuant de jouer. Et voici que le grand char de la
reine des festivités s'immobilise, là, juste en face de la tribune
; ses six chevaux blancs, de beaux chevaux tout blancs, refusent d'aller plus
loin.
Quelques secondes d'émotion......
Alors des rangs de la musique sort, le plus calmement du monde, Raoul Auriol.
Sans se démonter il glisse sa petite flûte dans la poche avec autant
d'aisance qu'il y mettait sa chère pipe, il s'approche du cheval de tête,
le prend par la bride, lui tapote doucement l'encolure et ... l'attelage repart
à la grande satisfaction de tous.
Applaudissements.....
Le soir de ce 31 juillet vit une farandole catalane dans les rues d'Avignon.
Cette nuit là les musiques militaires avaient comploté de jouer
ensemble, une Marseillaise bien sentie sous les fenêtres de la préfecture
et cela abouti à une véritable cacophonie du fait surtout des
fanfares des chasseurs alpins dont le rythme est bien plus rapide ; les métronomes
n'étaient pas d'accord ! mais comme l'intention était pure...tout
fut vite oublié.
Les 1er et 2 août furent pour les musiciens des journées de détente
; ils eurent "quartier libre" et purent à leur guise "faire du tourisme"
visite, repos, détente...bref...c'est le coeur plein de magnifiques souvenirs
et les yeux éblouis qu'ils revinrent au pays pour y raconter le beau
voyage, en l'embellissant comme il se doit, pour la gloire de leur musique et
de leur vin qui fût à cette occasion qualifié par le baron Le
Roy "d'empereur des vins de France"
1939
L'horizon s'obscurcit et... en septembre 1939 éclate la seconde guerre
mondiale. Tristesse, angoisse et deuils. Les jeunes sont sous les drapeaux,
les moins jeunes aussi. Cela dure jusqu'en 1944 et même 1945 car il y
a des prisonniers, beaucoup de prisonniers.
Toute l'activité de l'Union Musicale est suspendue durant cette
triste période. La moitié de ses membres sont dans les stalag,
l'un d'eux, même, Louis Auriol , est mort au champ d'honneur. Guerre,
captivité ont tout arrêté.
Pourtant il y a à Maury un homme qui essaye coûte que coûte d'entretenir
une petite lueur de vie de la musique, une lueur comme celles de ces discrètes
veilleuses qui dans l'obscurité des églises sont toujours allumées,
très faiblement comme pour perpétuer l'espoir et la foi.
Cet homme est un prêtre, l'abbé Joly, curé de Maury. Entré
très tard en religion, vers l'âge de 50 ans, c'est un ancien musicien
de la légion étrangère, une sérieuse référence.
Energique, bon et généreux, cet homme veut que continue la musique.
Il enseigne le solfège aux jeunes, les initie à divers instruments
et parvient à former un petit orchestre pour accompagner les cérémonies
religieuses.
Quelques titres de pièces jouées : airs de Noël, l'italienne à
Alger, le calife de Bagdad, le 2eme mouvement de la 3eme symphonie de L.V. Beethoven,
belle et saine musique arrangée par l'abbé Joly, cet excellent
musicien et homme de foi.
Perpignan 1944 |
Maury 1944 |
Perpignan 1944 |
Maury 1944 |
1945
Enfin le cauchemar s'achève avec la libération ; le moral est
à la hausse et Charles Mérou qui a alors 48 ans, reprend la baguette,
rassemble son monde, donne des leçons de solfèges, intéresse les
jeunes à un instrument et enfin redonne l'élan à cette
harmonie démantelée par les événements et qui ne
demande qu'à revivre.
Et, reprennent les défilés, les sorties, participations aux fêtes,
carnavals, (bendits) scolaires, réceptions.
Cependant l'Union Musicale n'assiste plus à des concours comme
avant 1914. En effet, depuis la fin de la "Grande Guerre", l'esprit de saine
compétition n'y est plus et , en outre, pour ne pas décourager
les moins méritants, chaque société reçoit une récompense,
dorée bien sûr suivant son mérite, mais c'est tout ! La motivation
a donc totalement changé avec l'apparition de nouvelles distractions
plus faciles....
1952
En 1952/53 Mr Donchin arrive au village. C'est un retraité, bon musicien,
connaisseur ; il joue de la basse en si bémol. Il remplace quelquefois,
au pupitre du chef, Charles Mérou lorsque celui ci est indisponible.
Pourtant Mr Donchin choisit bientôt d'aller vivre à Perpignan où
d'ailleurs il continuera de pratiquer la musique en y jouant à l'harmonie
municipale.
Et la musique retombe dans sa routine, ses répétitions étant
de moins en moins fréquentées. Il n'y a plus d'enthousiasme, le
goût pour la musique s'en va lentement, la flamme vacille, le chef est contesté.
Il est un peu vrai que la baguette d'un professionnel dirigeant, ferme, des
amateurs non rétribués, cela ressemble à une incompatibilité.
Et alors ...
1983
L'Union Musicale s'arrête à l'âge de 98 ans par manque de
motivation des rares participants. L'Union n'est pas dissoute mais cesse de
fonctionner par manque de participants.
......
1995
Sous l'impulsion de quelques personnes du village, dans le cadre d'un projet
de développement local voulant remettre en valeur un patrimoine tombé
dans l'oublie, l'Union Musicale se reforme par le biais de quelques vétérans,
sous la baguette d'Henry Torrent.
Formation éphémère ou durable ? Elle a au moins le mérite
d'avoir suscité des vocations chez certains jeunes du village qui, sans
incorporer l'Union Musicale, se sont mis à jouer des instruments.
Si l'on ne peut pas voir en eux de purs solfistes, ils éprouvent du plaisir
à jouer ensemble et retrouvent cet esprit de convivialité que
procure la musique.
Conclusion
L'homme en se civilisant, en évoluant, a matérialisé ses
émotions en signes écrits que lit le musicien pour les traduire
par le truchement de son instrument.
La musique est certainement née des bruits de la nature ; chants des
oiseaux, frémissement ou grondements de l'eau, passage du vent dans les
branches et le feuillage des arbres, martèlement de la pluie, tonnerre
de l'orage...
L'homme primitif a entendu tout cela et plus tard, lentement au fil des siècles,
l'a adapté, façonné selon son goût en essayant de "coller" à
la réalité et ainsi peu à peu est né un air, une
mélodie primitive, et bientôt l'harmonie, cet assemblage de sons
si agréable à l'oreille et dont l'apogée se situe du XVIIeme
au XIXeme Siècle.
Aujourd'hui l'engouement pour la musique s'est perdu. Les jeunes ne veulent
plus apprendre la musique comme il se doit. Il faut aller vite et puis c'est
pénible et lassant. On est fainéant ! Point trop de travail !
Le conservatoire et l'école de musique, c'est pour les autres... pour
les autres qui deviendront de vrais et excellents musiciens et même des
artistes comme le furent certains maurynates qui ont eu la patience et la volonté
d'apprendre pour la beauté de l'art.
Oui, tous les musiciens "Maurynats" ont été des artistes, des
vrais, de ceux qui s'ignorent et qui jouent pour le plaisir. Certains même
sont sortis de l'ombre.
En effet les "coblas catalanes" renommées et d'excellents orchestre de
danse ont recruté nombre de leur exécutants dans les rangs de
l'Union Musicale.
Deux d'entre eux sont même devenus professionnels : chefs de musique
militaire.
Felix Loup,
fils de modeste viticulteur a appris le solfège avec les anciens à
Maury. Il a choisi de jouer de la trompette ; tout cela avec comme professeur
un viticulteur, musicien du village. Felix aime son instrument, il en joue remarquablement,
et se fait remarquer. Au régiment il se perfectionne ; il est encouragé
: conservatoire, études plus poussées et au bout le concours de
sous chef. Il est reçu. Il ne s'en tient pas là ; étudier encore
pour se hisser plus haut. Le concours de chef... Il le décroche. Une
belle carrière a ouvert ses portes à Felix Loup.
Michel Seguy,
lui aussi fils de viticulteur. Son père, est son premier professeur,
un père qui joue fort bien de la clarinette et du saxophone et qui connaît
sérieusement le solfège. Alors Michel s'intéresse et fait
des progrès encourageants. Conservatoire de Perpignan, engagement dans
une musique militaire. Il y est apprécié, encouragé, et
à force d'études il enlève le concours de sous chef de
musique militaire, 3eme de France.
Textes : Henri RUFFIANDIS
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