L'UNION MUSICALE DE MAURY
(Pyrénées-Orientales)






Ombre et lumière :

Louis Beaupie, Augustin Cauneille, Jean et Marguerite Esteve, Rolande Justafré, Louis Lafage, Gaston Coumes, Léon Jules Mérou, Jean Morata, Michel Raynaud, Marie-Rose Rivière, Lucien Sanchez, Vincent Saura, Henri et Mimi Segui, Henri Torrent



1878.....
Ecrasé sous l'étouffante chaleur de l'été, le Fenouillèdes semble comme endormi. Au milieu de ces vallons et collines arides, les vignerons arpentent les vignes inlassablement. Cette apparente torpeur dissimule pourtant une étrange activité liée au traitement des cépages. Arrivé en France en 1862 et en Languedoc en 1864, en provenance du continent américain, le phylloxera se répand rapidement détruisant pratiquement tous les vignobles. Maury ne fait pas exception à la règle et subit ce fléau de 1876 à 1877. Toutes les vignes sont détruites. En cette année 1878, tous les vignerons sont à pied d'oeuvre pour reconstituer le vignoble. C'est dans cette atmosphère qu'un dénommé Bonnerie, ouvrier maçon de Saint-Paul-de-Fenouillet, épris de musique, communique sa passion à quelques jeunes du village qui en font leur professeur. Il les forme par l'étude du solfège bien appris,puis les aide dans le choix d'un instrument à vent, instrument qu'il était capable d'enseigner. Certains optent pour le chant. Bonnerie réunit ses élèves au local Mège, sur la place de la Mairie, et sous sa direction, ont lieu les premières répétitions. Celles-ci étaient suivies avec assiduité. Après avoir fini ses travaux sur Maury, Bonnerie s'en retourne à Saint-Paul-de-Fenouillet, laissant là le noyau d'apprentis musiciens. Ceux-ci ayant contracté la sérieuse habitude de se réunir pour jouer n'abandonnent pas et décident de continuer.Par ailleurs, les élèves ayant convaincu d'autres maurynates, les ont instruits à leur tour dans la lecture musicale et ont su leur insuffler le goût d'un instrument que chacun choisissait selon son penchant.

1885
C'est de ces quelques " apôtres " de Bonnerie et des nouveaux venus que naquit " l'Union Musicale " en 1885 et peu d'années après, l'Orphéon de Maury. Cette année là, un dimanche 16 mars, dans le "café du Tir", lors d'une assemblée générale se concrétisa l'idée de créer une formation musicale.... Une harmonie.



Maury 1885
1885

1- Jean (Claude) Flamand, 2 - Alfred Auriol



Lors de cette assemblée générale étaient présents :
Joseph Bories, Samuel Rontes, Louis Rivière, Dominique Auriol, Aristide Barthelemy, Jean Villa, Francois Mérou, Balthazar Villa, Victor Pons, Augustin Auriol, Albin Auriol, Pierre Auriol, Justin Rouffia, Jean Flamand, Benjamin Daure, Francois Montagne, Roch Bories, Francois Giraud Montagne, Francois Catala, Louis Auriol, Joseph Cauneille, Antoine Armingaud, Edouard Catala, Antoine Salvat, Emile Pujol, Firmin Darton, Augustin Vessier, Crabie Pierre, Pierre Blanche, Francois Boulan, Zephir Burgat, Antoine Burgat, Clovis Burgat, Faustin Burgat.

35 personnes faisaient alors partie du groupe qui allait s'appeler désormais " Union Musicale de Maury ". Les statuts sont créés.
L'Union Musicale toute jeune s'est très rapidement enrichie de 70 exécutants et cela est particulièrement encourageant. Alors elle prend confiance et s'essaye ; les musiciens se rodent, se conditionnent ; les programmes sont sérieusement étudiés et alors, l'Union Musicale connaît son premier succès .

1890
En 1890, soit seulement 5 ans après sa création, elle décroche à Perpignan, lors d'un concours de formations musicales de son type, le 3eme prix : une médaille de bronze à suspendre à sa bannière, car elle s'est dotée de son emblème.



Maury 1890

Fortifiés par ce succès les musiciens continuent leurs répétitions. Chacun joue chez soi la partition qui lui est dévolue, la décortique, l'étudie à fond . Et...

1893
Un beau jour de 1893 L'Union Musicale se déplace à Toulouse pour participer à un nouveau concours de musiques rurales ou figurent aussi d'excellents musiciens. Il ne s'agit pas d'affrontements acharnés ou de matches. Tout cela est très amical mais réfléchi, préparé et abordé sérieusement et dont tout le monde espère un résultat honorable. A Toulouse le résultat est plus qu'honorable puisque l'Union Musicale décroche un deuxième prix, une médaille d'argent.

Toulouse 1893

1898
Le dimanche 4 septembre 1898 a lieu une grande fête, celle de la Société de Secours Mutuel annoncée la veille par une retraite aux flambeaux. Un important cortège défile dans le village. La marche est ouverte par le corps des sapeurs pompiers, drapeau national en tête. Viennent ensuite l'Orphéon et l'Union Musicale alignant ses 70 musiciens. A trois heures de l'après midi toute la population assiste à un concert au rond point des platanes. En voici le programme:


Enfin à 8h du soir a lieu sur la place publique un grand bal gratuit. L'orchestre se compose d'éléments de l'Union Musicale.

1901
Un nouvel évènement survint à Maury en 1901. A 9h30 du matin arrive en mission le général André. Il est reçu par la municipalité au grand complet , les employés de la commune, l'Union Musicale et l'Orphéon . Une grande partie de la population assiste à cette réception .

1902
Genève. C'est un succès sans précédant. L'Union Musicale de Maury remporte le premier prix d'exécution et de lecture à vue avec attribution d'une médaille d'or.

Geneve 1902


A la proclamation des résultats toute la musique, comme électrisée, exécute de pied ferme, une splendide Sambre et Meuse enlevée que le public enthousiasmé applaudit longuement. Inutile de dire ce que fut le retour au pays... Un immense bravo ! Tous ces succès n'étaient pas le fait du hasard. Ils étaient dus à un profond amour de la musique et aussi à un travail méthodique et quasi quotidien. Lorsque les hommes rentraient de la vigne, avant le repas du soir, s'élevaient dans chaque coin de rue des notes soigneusement travaillées qui provenaient de divers instruments : les arpèges d'une clarinette, les trilles d'une flûte traversière, quelque éclat feutré d'une trompette ou d'un cornet, les accents romantiques d'un trombone à coulisse, les graves soutenues d'une basse ou d'un baryton, le velours d'un saxophone alto, celui plus chaud d'un saxo ténor, le flageolet de Raoul qui imitait les trilles de l'alouette et parfois même l'appel d'un clairon ou le roulement d'un tambour. Symphonie désordonnée que la baguette du chef mettrait en forme. Ainsi les musiciens s'exerçaient inlassablement chez eux. Il y avait un musicien presque dans chaque maison, ce qui faisait dire aux étrangers : A Maury tout le monde est musicien . C'était vrai.....

1907
La venue à Maury du jeune docteur Roucaché bouleversa la position confortable de la municipalité présente avec M. Villa comme maire et président de la Société de Secours Mutuel de Maury (début de sécurité sociale à usage communal). Etant docteur, et, il faut le dire, de tendance progressiste (socialiste à l'époque) M. Roucaché ayant accès aux comptes de la Société, s'interrogea sur la gestion des "notables", les "gros" comme on disait alors (et encore). Il constata certaines "erreurs" dans cette gestion et les dénonça au Maire, ce qui ne fût pas du goût de celui-ci qui ne trouva comme réponse que de le révoquer et de changer de docteur pour la Société de Secours Mutuel. Celle-ci fut coupée en deux La Fraternelle et l'Humanité. D'où la révolte d'une partie de la population et la formation de deux clans: les Socialistes et les Bourgeois. La haine s'installa ; rixes et bagarres firent rage pendant 7 ans ; des familles même, furent profondément divisées ; Certains habitants de Maury étaient soit journaliers, soit petits propriétaires qui cherchaient de quoi ajouter à leur maigre revenu. Ceux-ci furent animés d'un sentiment d'injustice sociale et, dans l'autre camp les nantis et leurs valets ou courtisans ou suivant leurs convictions politiques (dixit: "Cal votar pels riches que nos fan viure!" en occitan "Il faut être du côté des riches qui nous font vivre ). Se sachant minoritaire, la partie au pouvoir, lors des élections municipales, fut à l'origine de provocations et ce fut le docteur Roucaché qui fut élu.

L'Union Musicale subit le même sort que la Société de Secours Mutuel. Il y eut deux musiques l'Union et l'Harmonie.
L'Union continuait à être dirigée par Claude Flamand, tandis que Raymond Fouga dirigeait l'Harmonie. La première répétait dans la grande salle du domicile de son chef, la seconde dans une salle attenant à la mairie au premier étage de l'immeuble. Il y eut 2 hymnes ; La Marseillaise et L'Internationale. Il y eut même 2 bals sur la place publique avec deux orchestres. Lorsque celui de la municipalité Villa jouait, les danseurs "Bourgeois" occupaient toute la place. Quand c'était au tour des "Socialistes" ils se contentaient, dans un soucis d'équité d'occuper la moitié de la place.

Pourtant, avant d'être définitivement cassée en deux, il semble que l'Union Musicale ait pu participer au grand complet à un concours qui eut lieu à Marseille, en 1908. Malgré les dissensions qui devaient commencer à l'agiter, elle s'en tira tout à son honneur, y remporta un deuxième prix avec attribution d'une médaille d'argent. Encore un beau succès.

1914
Le 2 août 1914 remit les pendules à l'heure et la guerre qui dura quatre ans réconcilia les antagonistes devenus frères d'armes. Ils comprirent que la querelle qui divisait le village devait prendre fin. Inutile de préciser que durant cette terrible épreuve de 4 ans, il ne fut pas question de musique. On en reparlera juste quelques années après l'armistice de 1918. Trop de jeunes parmi lesquels des musiciens étaient morts pour la France et l'Union Musicale s'en ressentait cruellement à double titre: deuil et effectif. Cependant, la sociéte se réunifie vers 1920 - 1921 et Raymond Fouga qui dirigeait L'Harmonie dissoute par fusion avec l'Union, en devint sous directeur avec le titre de clarinette solo.

1923
Mais en 1923 Claude Flamand dit " jan de la musico " décède. Il laisse des compositions très attachantes et d'une belle qualité harmonique, qui sont aujourd'hui déposées aux archives de la société. En voici quelques titres :



C'est Raymond Fouga qui lui succède. Il assurera la direction jusqu'en 1931. Si Claude Flamand (Jean) jouait du piano, instrument indispensable pour la composition musicale et aussi de la flûte traversière (il en avait une en bois rougeâtre pas en ébène) Raymond Fouga, quant à lui, jouait de la clarinette et du hautbois. Sans avoir une sonorité très riche, il possédait en revanche un doigté sans faille et cette virtuosité s'accompagnait d'une facilité de lecture étonnante ; un pur solfiste.

Pourtant les activités de l'Union Musicale se déroulaient le plus souvent au village à l'occasion de défilés patriotiques - 14 juillet, 11 novembre - de concerts aussi qui avaient surtout lieu à la belle saison. Ils se donnaient à la promenade des platanes dans la partie basse du village. Cette promenade avait été un cimetière en 1837. Celui ci fut déplacé en 1871 quelques 200m vers l'est, vers le " marin ". Il est dominé par la chapelle dédiée à Saint Roch.
Ce fut le maire Antoine Fauché et son conseil municipal, qui, en 1896, après avoir fait dignement préparer le terrain de l'ancien " champ du repos ", y firent planter des allées de platanes,et transformèrent ainsi le lieu en promenade. On constate sur le tronc de certains d'entre eux, surtout vers le fond de la promenade, de longues cicatrices creuses, toute noirâtres pour la plupart. C'est la trace laissée par la dent goulue de chevaux rongeant l'écorce. Ces platanes étaient jeunes, quelques 20 cm de diamètre au tronc, lorsque bivouaqua en ce lieu un escadron de dragons dont les montures meurtrirent les jeunes arbres pour satisfaire probablement un appétit inassouvi. Il fut construit, plus tard ,en plein centre de la promenade un kiosque à musique en bois entouré de bancs, en bois également. Mais ce matériau se dégrada vite et fut remplacé par de la maçonnerie : des bancs parallélépipèdiques en béton et un kiosque surélevé et rond comme le précédant, en béton également. Trois ou quatres marches permettaient d'y accéder. Il y avait aussi sur la promenade, des agrès de gymnastique et un santori.
Cependant tout cela disparu parce que devenu parfaitement inutile mais aussi, parce que parfaitement inesthétique.
Et c'est de la présence de cet édicule dédié à la musique qu'est resté le nom du lieu "Promenade du kiosque" ou tout bonnement "Le Kiosque"

1931
Raymond Fouga aura dignement dirigé pendant 8 ans ses musiciens et avant de "passer la main" ou plutôt "la baguette", il participera avec son Union Musicale à une émouvante manifestation au mois de février de cette année 31.

C'est la fête des combattants de 1914 - 1918.
La musique est au grand complet, clique et harmonie, cela va de soi, car avec le conseil municipal elle accueille à la gare le préfet des Pyrénées-Orientales qu'accompagne René Victor Manant, député de la circonscription.
Le préfet vient remettre deux médailles d'anciens combattants de la guerre de 1870 - 1871 !
Les récipiendaires sont Louis Vaquè et Francois Gau. La cérémonie simple mais prenante se déroule sur la place de la mairie ; tout Maury est là. Tout cela est suivi d'un grand banquet qui a lieu dans la salle des répétitions de la musique au 1er étage de la mairie.

A la suite de cet événement, le maire Maximin Galaup écrivit aussitôt au député René Victor Manant.

Il faut en fait rectifier deux petites erreurs ; il faut lire Jean (Claude de son vrai prénom) Flamand, et Raymond Fouga au lieu de Jean dans le Post Scriptum. René Victor Manant accepta la présidence d'honneur.
Joseph Flamand remplaça Raymond Fouga. Joseph était le fils ainé du président fondateur "en jan de la musico". Sans posséder la brillance et l'inspiration de son père Claude (Jean), Joseph était un excellent musicien digne de diriger ce bel ensemble. Il jouait de cet instrument de base qu'était le piano et y ajoutait un joli talent sur la contrebasse à corde.
Or, en cette année 1931, au mois de novembre, eut lieu à Paris la grande "exposition coloniale". Paul Doumer venait d'être élu président de la république française et devait être assassiné un an plus tard par un fanatique nommé Gorgulof.
L'exposition dont l'organisation avait été confiée au général Lyautey, fut installée au bois de Vincennes.
René Victor Manant, en sa double qualité de député et de président d'honneur de l'Union Musicale fit venir à Paris la société. Il en organisa tout le déplacement. Les musiciens furent logés au château de Vincennes qui était aussi jusqu'en 1940 la résidence de l'école militaire d'administration.
Bien entendu la musique de Maury était venue pour jouer et sa participation fut si appréciée que l'Union Musicale donna à la demande des organisateurs, un concert à Paris même, dans la salle de spectacle du Petit Journal.

 Participants
Paris 1931


Ce voyage dans la capitale connut à Maury un grand retentissement.
Louis Pla, acteur comique à l'occasion, l'avait même évoqué lors d'une petite revue locale vers les années 50 en chantant sur l'air de "Caroline, Caroline" les paroles suivantes:

La musico, la musico
La musico de Maoury, ...
Es unico, magnifico
Es estado à Paris....

Lorsqu'une bien vieille mémé de l'époque vit partir tout ce monde pour prendre le train, peut être une centaine de personnes au plus, elle s'exclama : "Tant dé moundé, tant dé moundé, me, qué diran à Paris quand béiran arriba tout aco !"

C'est comme Marin Vila qui faillit laisser un morceau de son hélicon coincé dans une porte de rame de métro. Cet instrument d'ailleurs conserva toujours la trace de l'aventure parisienne.
Et Louis Lafage qui oublia dans le métro aussi son pardessus, inutile de dire qu'il ne le récupéra jamais.
Puis tout ce monde revint à Maury la tête pleine de souvenirs, et la vie de la société continua.

1936
Le 14 juillet 1936, le Maire de Maury, Monsieur François Lafage entouré de son conseil municipal et accompagné par l'Union Musicale que dirigeait Joseph Flamand accueillit sur la place du Boutas à 2h de l'après midi l'Orphéon de Gérone (Espagne).
Un Orphéon mixte dont les jeunes filles étaient coiffées de très belles mantilles blanches. Les bannières de l'Orphéon de Gérone et de l'Union Musicale se saluèrent.
Alors eut lieu un grand défilé jusqu'à la place de la mairie où l'Orphéon chanta une vibrante Marseillaise en catalan !
Discours, bouquets de fleurs, vin d'honneur au "café de la paix" et ...la "fiesta" !
Calmement partagée entre les répétitions et les manifestations habituelles, fête de la société de secours mutuel, concerts, sorties en période de carnaval et à son sujet il faut mentionner que l'Union Musicale était souvent sollicitée pour les corsos, à Perpignan en particulier ; bref presque de la routine.

1937
En juin 1937, le directeur Joseph Flamand démissionne. Un deuil cruel vient de frapper sa famille : son neveu Edouard , âgé de 17 ans est mort .
Un musicien remarquable et pur lui succède : Charles Mérou . Charles joue accessoirement du piano, mais son instrument de prédilection est la clarinette ; il joue aussi du saxophone. Charles est un solfiste intégral et son doigté, son mécanisme sur la clarinette ne comporte aucune faille.
De surcroît, il possède une belle sonorité qu'il exploite intelligemment dans les soli qu'il est amené à exécuter. Certains l'ont entendu jouer, entre autres, le 1er mouvement du concerto en la majeur : K 622 pour clarinette et orchestre de W. A. Mozart, dans le plus pur style classique. Ce concerto étant écrit pour clarinette en la, la prestation de cet amateur est d'autant plus apprécièe et cela représente une sérieuse référence.
Charles Mérou désigne comme sous - directeur un autre excellent musicien plus jeune que lui : Marcel Barbaza .
Marcel joue du trombone à coulisse. Il tire de cet instrument des sonorités splendides atteignant les vibrations romantiques du cor de chasse.
Marcel Barbaza occupera ce poste durant quelques années. Il démissionnera très honnêtement , ne pouvant plus s'y consacrer régulièrement, lorsqu'il contracta un engagement avec la célèbre cobla catalane "les Combo Gili". Ceci se situe après 1945 car Marcel fut prisonnier de guerre et ne revint pas au pays avant cette année là.
Charles Mérou a la baguette de chef bien en main et voici que se prépare pour nos musiciens une "sortie" que ceux qui y participèrent ne sont pas prêt d'oublier !

1938
Les 30 - 31 Juillet , 1er et 2 Août 1938, l'Union Musicale de Maury se rendit en Avignon au grand complet, 73 musiciens dont une majorité de moins de 20 ans.
C'était la grande fête des vins de France, présidée par le Président de la république Albert Lebrun qu'accompagnait le baron Albert Le Roy, Président des vins de France, et Edouard Daladier, Président du conseil des ministres.
La société musicale a été choisie pour y représenter les vins du Roussillon et pour cela, elle a laissé à la maison son modeste uniforme pour s'habiller en catalan, barratine, faxes rouges...la couleur locale sang et or au superlatif. C'est une "grande mission".

Avignon 1938


Les musiciens sont logés au lycée Frédéric Mistral.
Le 30 juillet, un défilé monstre est organisé en ville auquel participaient avec l'Union Musicale, les fanfares des 9eme (Antibes) et 22eme (Nice) bataillons de chasseurs alpins, la musique du 3eme régiment d'infanterie alpine d'Hyères, la musique de la 4eme région aérienne basée à Aix-en-Provence, une nouba de tirailleurs marocains, la musique du 7eme génie, la fanfare à cheval de la garde républicaine. L'Union Musicale donna la nuit un concert au kiosque à musique de l'île de la Bartelasse, sur le Rhône avignonnais. Elle exécuta, entre autres, la belle pièce composée par son premier directeur et fondateur Claude Flamand "Echos Roussillonnais" ; c'était de circonstance.
Cette nuitée fut clôturée par un magnifique feu d'artifice dont le " clou " représentait une main pressant une grappe de raisin dont le jus coulait dans une coupe ; ce jus débordait et écrivait en lettres de feu "gloire aux vins de France".
Il faut saluer au passage la performance des artificiers qui avaient su réaliser ce splendide embrasement.
Le lendemain 31 juillet eut lieu un imposant défilé de chars fleuris représentant les provinces françaises.
L'Union Musicale de Maury a l'honneur d'ouvrir le défilé. Arrivée devant la tribune officielle elle déboîte pour se mettre au pied ferme tout en continuant de jouer. Et voici que le grand char de la reine des festivités s'immobilise, là, juste en face de la tribune ; ses six chevaux blancs, de beaux chevaux tout blancs, refusent d'aller plus loin.
Quelques secondes d'émotion......
Alors des rangs de la musique sort, le plus calmement du monde, Raoul Auriol. Sans se démonter il glisse sa petite flûte dans la poche avec autant d'aisance qu'il y mettait sa chère pipe, il s'approche du cheval de tête, le prend par la bride, lui tapote doucement l'encolure et ... l'attelage repart à la grande satisfaction de tous.

Applaudissements.....

Le soir de ce 31 juillet vit une farandole catalane dans les rues d'Avignon. Cette nuit là les musiques militaires avaient comploté de jouer ensemble, une Marseillaise bien sentie sous les fenêtres de la préfecture et cela abouti à une véritable cacophonie du fait surtout des fanfares des chasseurs alpins dont le rythme est bien plus rapide ; les métronomes n'étaient pas d'accord ! mais comme l'intention était pure...tout fut vite oublié.
Les 1er et 2 août furent pour les musiciens des journées de détente ; ils eurent "quartier libre" et purent à leur guise "faire du tourisme" visite, repos, détente...bref...c'est le coeur plein de magnifiques souvenirs et les yeux éblouis qu'ils revinrent au pays pour y raconter le beau voyage, en l'embellissant comme il se doit, pour la gloire de leur musique et de leur vin qui fût à cette occasion qualifié par le baron Le Roy "d'empereur des vins de France"

1939
L'horizon s'obscurcit et... en septembre 1939 éclate la seconde guerre mondiale. Tristesse, angoisse et deuils. Les jeunes sont sous les drapeaux, les moins jeunes aussi. Cela dure jusqu'en 1944 et même 1945 car il y a des prisonniers, beaucoup de prisonniers.

Toute l'activité de l'Union Musicale est suspendue durant cette triste période. La moitié de ses membres sont dans les stalag, l'un d'eux, même, Louis Auriol , est mort au champ d'honneur. Guerre, captivité ont tout arrêté.
Pourtant il y a à Maury un homme qui essaye coûte que coûte d'entretenir une petite lueur de vie de la musique, une lueur comme celles de ces discrètes veilleuses qui dans l'obscurité des églises sont toujours allumées, très faiblement comme pour perpétuer l'espoir et la foi.
Cet homme est un prêtre, l'abbé Joly, curé de Maury. Entré très tard en religion, vers l'âge de 50 ans, c'est un ancien musicien de la légion étrangère, une sérieuse référence.
Energique, bon et généreux, cet homme veut que continue la musique. Il enseigne le solfège aux jeunes, les initie à divers instruments et parvient à former un petit orchestre pour accompagner les cérémonies religieuses.
Quelques titres de pièces jouées : airs de Noël, l'italienne à Alger, le calife de Bagdad, le 2eme mouvement de la 3eme symphonie de L.V. Beethoven, belle et saine musique arrangée par l'abbé Joly, cet excellent musicien et homme de foi.

1940
Après l'armistice avec Hitler, l'Union, avec des effectifs réduits, (musiciens prisonniers de guerre et manque de motivation) alla à Perpignan pour une commémoration pour la "Légion des anciens combattants de 14-18". Le chef de l'"Etat Français", le Maréchal Pétain désirant mobiliser les Français, essaya, avec certains convaincus, de faire un défilé dans les rues de Perpignan. L'Union, fut mal récompensée, car pas une collation ni boisson ne leur fut offerte (pour "l'honneur"). A tel point que les organisateurs désirant renouveler le défilé, il leur fut répondu par Léon Galté (plus tard, en 1945, tuba à l'orchestre Roquelaure de Salses): "I a pas boubou, ia pas toutou!" (en occitan). L'expression 'boubou" désignant en occitan, pour les tout petits, la nourriture (bonbon), il voulait dire, par là que du moment qu'on les méprisait, il n'ya avait pas de raison de jouer "toutou" et d'être ridiculisé. L'expression fit flores et est restée dans les annales de "la Musique". Ce fut la dernière prestation de l'Union Musicale jusqu'après l'armistice et la paix en 1945.


Perpignan 1944

Maury 1944

Perpignan 1944

Maury 1944



1945
Enfin le cauchemar s'achève avec la libération ; le moral est à la hausse et Charles Mérou qui a alors 48 ans, reprend la baguette, rassemble son monde, donne des leçons de solfèges, intéresse les jeunes à un instrument et enfin redonne l'élan à cette harmonie démantelée par les événements et qui ne demande qu'à revivre.
Et, reprennent les défilés, les sorties, participations aux fêtes, carnavals, (bendits) scolaires, réceptions.
Cependant l'Union Musicale n'assiste plus à des concours comme avant 1914. En effet, depuis la fin de la "Grande Guerre", l'esprit de saine compétition n'y est plus et , en outre, pour ne pas décourager les moins méritants, chaque société reçoit une récompense, dorée bien sûr suivant son mérite, mais c'est tout ! La motivation a donc totalement changé avec l'apparition de nouvelles distractions plus faciles....

1952
En 1952/53 Mr Donchin arrive au village. C'est un retraité, bon musicien, connaisseur ; il joue de la basse en si bémol. Il remplace quelquefois, au pupitre du chef, Charles Mérou lorsque celui ci est indisponible. Pourtant Mr Donchin choisit bientôt d'aller vivre à Perpignan où d'ailleurs il continuera de pratiquer la musique en y jouant à l'harmonie municipale.


 Participants
Maury 1954


Encore quelques années sans relief et en 1960 Charles Mérou dépose la baguette de chef ; il a 63 ans. Il s'estime trop âgé pour dynamiser cette importante formation musicale. Charles est un sage doublé d'un homme excellent. Il ne laissera derrière lui que des regrets et sa vie simple et pure aura forcé l'admiration de tous.

1960
Charles Mérou est remplacé par Augustin Cauneille. Désignation logique bien méritée puisque Augustin avait été nommé sous-chef lorsque Marcel Barbaza avait quitté cette fonction en s'engageant avec les Combo Gili.
Le nouveau chef est jeune ; il a 38 ans. C'est un excellent musicien et un sérieux théoricien .Il a été l'élève de Charles. Augustin joue de la basse en si bémol et surtout de la contrebasse à cordes pour laquelle il a pris des leçons particulières à Perpignan. Il adore cet instrument. Il en joue de façon très classique et en tire de très forts jolis sons que seules peuvent rendre les cordes. Augustin est avant tout un classique convaincu.
Sous cette jeune baguette, l'Union continuera sa vie calme et routinière.Le seul voyage à "l'extérieur" qui vaut la peine d'être mentionné a lieu à Genève, sans les instruments bien sûr, car il ne s'agit que de tourisme, peut être pour tenter d'y percevoir les échos d'antan et d'évoquer en ces lieux, les jours de la gloire éteinte....

1970
Le premier dimanche de juillet 1970, à l'occasion de la première fête du vin à Maury, l'Union Musicale donne un concert à la promenade du kiosque.
A cette occasion, le président départemental des sociétés musicales du midi, décore pour leur ancienneté.

Auriol François
Auriol Jean (58 ans de présence)
Auriol Raoul
Aribeaud François
Auriol Joseph
Mérou Charles

1971
Augustin Cauneille démissionne de son pupitre de chef, lassé de l'absentéisme chronique aux répétitions de nombre de ses musiciens, tant il est vrai que l'on ne peut pas répéter sérieusement à 10 ou 12 quand l'effectif total qui doit jouer en public est d'au moins 50 sinon plus.
Le président de l'époque Henri Torrent reçoit cette démission. Henri - notons le au passage- au rang des pupitres, joue de la basse en si bémol, et du baryton si c'est nécessaire ; c'est un bon solfiste et un musicien très sérieux. Malheureusement les loisirs entraînent un laisser aller, de nombreuses défections, des absences nombreuses et répétés. Ces abandons sont une capitulation du goût, l'idéal n'y est plus, il a été tué par le modernisme, par trop de distractions. La discipline trop rigoriste de l'apprentissage de la musique effraie un peu les jeunes. La flamme s'éteint.

1972
On la ranime pourtant sous la baguette d'un ancien, Jean Auriol dit "l'arago". Homme excellent, musicien sérieux, appliqué. Il joue du saxophone baryton, ce très bel instrument à la profonde sonorité.
Cela dure environ, un an et demi, en demi teinte et bientôt il passe la baguette.

1973
C'est François Auriol qui la récupère. Un ancien aussi. Musicien énergique, le type même de l'homme qui ne renonce pas facilement. Il faut que ça joue et ça repart !
François jouait du cornet à piston, il s'est ensuite modernisé avec la trompette. Sa sonorité est frappante ; empreinte d'une certaine fantaisie, elle s'accompagne d'une sorte de vibrato rappelant celui des anciens jazzman qui ont fait la gloire du cornet.
Direction nette, directe.
Pourtant François lui aussi reste peu de temps, trop peu. Et puis, la routine, toujours la routine! Comme pour Jean Auriol sa direction ne dure que un an et demi, environ, peut être un peu plus...
C'est le trou, pourtant certains veulent encore jouer. Alors apparaît André Carradot

1974
André Carradot habite à Vira, en plein coeur du fenouillèdes, tout prés de la forêt de Boucheville. Il y élève des chèvres, il y fait du fromage et de la musique ; c'est un musicien accompli, pour tout dire, c'est un professionnel.
André Carradot a renoncé à son uniforme, il a fui la capitale, sa vie trépidante, ses odeurs d'essence, bref, tout un contexte déprimant qu'il ne supporte plus. Il était corniste à la musique de la garde républicaine, cela est une très haute référence. Car ce musicien connaissant à fond sa théorie fait des arrangements pour de grands artistes, il compose aussi. Commencent alors les répétitions bien suivies au début.
Carradot, comme professionnel, est un directeur exigeant. Il apprécie la qualité de ces musiciens qui ne sont que des amateurs, des vignerons souvent las de leur travail agreste ; mais les comprend t- il bien.?
Il obtiendra rapidement d'excellent résultats et l'Union Musicale retrouve un air de jeunesse qui lui va bien. Cet air est de plus encouragé par le venue sur la scène villageoise d'une troupe de majorettes, qu'a créé Mme Sanchez.
Heureuse conjonction ; les défilés en sont rehaussés ; musique et jeunesse, quelle belle union à la belle saison, celle des parades, des festivités ensoleillées suivies par tous, jeunes et vieux, avec enthousiasme ; fête du vin en l'honneur des vacanciers qui apprécient ces belles manifestations. Cette troupe de 45 à 50 jeunes ballerines ne tient que peu de temps, 3 ans et demi à peine, du défilé du 11 Novembre 1975 à celui du 12 Juillet à l'occasion de la fête du vin à Maury aussi.

Maury 1977



Et la musique retombe dans sa routine, ses répétitions étant de moins en moins fréquentées. Il n'y a plus d'enthousiasme, le goût pour la musique s'en va lentement, la flamme vacille, le chef est contesté. Il est un peu vrai que la baguette d'un professionnel dirigeant, ferme, des amateurs non rétribués, cela ressemble à une incompatibilité. Et alors ...

1983
L'Union Musicale s'arrête à l'âge de 98 ans par manque de motivation des rares participants. L'Union n'est pas dissoute mais cesse de fonctionner par manque de participants.

......

1995
Sous l'impulsion de quelques personnes du village, dans le cadre d'un projet de développement local voulant remettre en valeur un patrimoine tombé dans l'oublie, l'Union Musicale se reforme par le biais de quelques vétérans, sous la baguette d'Henry Torrent.
Formation éphémère ou durable ? Elle a au moins le mérite d'avoir suscité des vocations chez certains jeunes du village qui, sans incorporer l'Union Musicale, se sont mis à jouer des instruments. Si l'on ne peut pas voir en eux de purs solfistes, ils éprouvent du plaisir à jouer ensemble et retrouvent cet esprit de convivialité que procure la musique.


Conclusion

L'homme en se civilisant, en évoluant, a matérialisé ses émotions en signes écrits que lit le musicien pour les traduire par le truchement de son instrument.
La musique est certainement née des bruits de la nature ; chants des oiseaux, frémissement ou grondements de l'eau, passage du vent dans les branches et le feuillage des arbres, martèlement de la pluie, tonnerre de l'orage...
L'homme primitif a entendu tout cela et plus tard, lentement au fil des siècles, l'a adapté, façonné selon son goût en essayant de "coller" à la réalité et ainsi peu à peu est né un air, une mélodie primitive, et bientôt l'harmonie, cet assemblage de sons si agréable à l'oreille et dont l'apogée se situe du XVIIeme au XIXeme Siècle.
Aujourd'hui l'engouement pour la musique s'est perdu. Les jeunes ne veulent plus apprendre la musique comme il se doit. Il faut aller vite et puis c'est pénible et lassant. On est fainéant ! Point trop de travail ! Le conservatoire et l'école de musique, c'est pour les autres... pour les autres qui deviendront de vrais et excellents musiciens et même des artistes comme le furent certains maurynates qui ont eu la patience et la volonté d'apprendre pour la beauté de l'art.
Oui, tous les musiciens "Maurynats" ont été des artistes, des vrais, de ceux qui s'ignorent et qui jouent pour le plaisir. Certains même sont sortis de l'ombre.
En effet les "coblas catalanes" renommées et d'excellents orchestre de danse ont recruté nombre de leur exécutants dans les rangs de l'Union Musicale.

Deux d'entre eux sont même devenus professionnels : chefs de musique militaire.

Felix Loup,
fils de modeste viticulteur a appris le solfège avec les anciens à Maury. Il a choisi de jouer de la trompette ; tout cela avec comme professeur un viticulteur, musicien du village. Felix aime son instrument, il en joue remarquablement, et se fait remarquer. Au régiment il se perfectionne ; il est encouragé : conservatoire, études plus poussées et au bout le concours de sous chef. Il est reçu. Il ne s'en tient pas là ; étudier encore pour se hisser plus haut. Le concours de chef... Il le décroche. Une belle carrière a ouvert ses portes à Felix Loup.

Michel Seguy,
lui aussi fils de viticulteur. Son père, est son premier professeur, un père qui joue fort bien de la clarinette et du saxophone et qui connaît sérieusement le solfège. Alors Michel s'intéresse et fait des progrès encourageants. Conservatoire de Perpignan, engagement dans une musique militaire. Il y est apprécié, encouragé, et à force d'études il enlève le concours de sous chef de musique militaire, 3eme de France.



Textes : Henri RUFFIANDIS
Transcription : Dany CAYROCHE, Inca CIURANA & Jean Philippe BOCQUENET

 

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page créée le 16/07/1996, Mise a jour le 17/06/2001