Les ateliers de perles en coquillages marins des Pyrénées méditerranéennes

L'exemple de l'atelier de perles du Moulin à Durban-Corbières (Aude)


(Texte du colloque d'Aix-en-Provence - 1995)

Introduction

De nombreux sites ont livré des vestiges de coquillages marins ayant servi à la confection de perles discoides. Des prospections ordonnées, après enquête dans les villages, l'analyse des toponymes et l'étude de collections archéologiques particulières ont permis de découvrir de nouveaux sites. L'opportunité nous a été donnée de fouiller un de ces sites, sur le territoire de Durban-Corbières. Celui-ci a été découvert dans les années 1980 par Gérard Abet, habitant et érudit local de cette commune. Ce site apporte quelques enseignements sur le mode de vie de ces fabricants qui devaient constituer des groupes itinérants diffusant leur production manufacturière de perles sur leur passage. A partir du mobilier recueilli sur ce site, mais aussi sur différents gisements des Corbières, il est possible de reconstituer le mode de fabrication des parures en coquille de cardium edule en distinguant les différentes étapes de la fabrication, de l'ébauche à la perle de parure.


Le cadre naturel

La répartition des ateliers de fabrication de perles en coquillages s'étend sur une aire assez vaste qui concerne à la fois les départements de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. A l'ouest et au nord, elle est limitée par la vallée de l'Aude, et rejoint le littoral méditerranéen au niveau de la commune de Peyriac-de-Mer. A l'est, la partie orientale des Corbières se jette dans la Méditerranée. Au sud, le territoire suit le cours de la rivière Agly qui traverse le nord de la plaine du Roussillon. De nombreuses voies de passage, dans les Corbières, ont permis une pénétration aisée du massif par les hommes et les courants culturels des différentes civilisations du néolithique. La majeure partie des ateliers de fabrication de perles se trouve dans le massif de Mouthoumet. Celui-ci est situé dans les Hautes-Corbières de l'Aude. C'est une région de basse montagne et de plateaux rocailleux. Ces points de hauteur sont des lieux privilégiés pour les hommes préhistoriques qui y bâtissent leur habitat et y développent une économie pastorale (pacage des troupeaux sur les plateaux). La partie nord-orientale des Corbières est constituée d'un lias chaotique intensément fracturé. Ce massif aride et déboisé révèle des traces de surfaces d'érosion d'âge oligocène qui résultent du ravinement d'orages parfois violents. A l'est de Narbonne, un couloir étroit canalise les mouvements de peuples, leur offrant une voie naturelle.

Ces massifs arides pourraient sembler des frontières infranchissables, ils sont en fait un lieu d'échanges est-ouest et nord-sud. Dans la basse vallée de l'Aude, il existe une succession ininterrompue de cuvettes et d'étangs. Ces étangs, reliquats du golfe d'origine, le Lagus Rubrensus, communiquent avec la mer par l'intermédiaire de "grau".


Le sol archéologique

La couche unique qui constitue le site du Moulin à Durban-Corbières possède une puissance d'environ trente centimètre et se retrouve sous quarante centimètres de terre arable. Une cinquantaine de mètres carrés ont été fouillés, révélant la présence de nombreux fragments de coquilles de cardium edule, d'ébauches de perles, de quelques fragments de céramique et de quelques silex. L'absence de structures à vocation domestique incite à penser que ce site était essentiellement dédié à une activité manufacturière. La répartition spatiale des différents artefacts met en évidence une zone dense de mobilier laissant présager la présence en cet endroit d'une aire d'activité. Les prospections alentour ont montré que le site s'étend sur environ un hectare, recelant de façon homogène des coquilles de cardium edule, des fragments de céramique et des silex. Aucun endroit ne comporte des éléments qui signeraient une zone d'habitat. Nous nous trouvons ici en présence d'un site entièrement tourné vers une unique activité de fabrication de perles en coquillages marins. Ce constat est corroboré par toutes les observations qui ont pu être faites sur l'ensemble des autres gisements de fabrication de perles des Corbières.


Cadre chronoculturel des ateliers de perles

Le mobilier céramique

Sur l'ensemble des sites ayant livré des coquilles de cardium edule et des ébauches de perles, le mobilier est assez homogène. Les céramiques sont caractéristiques du Bronze ancien/moyen des Corbières. On y retrouve notamment des fragments de grands vases à cordons horizontaux digités, de nombreux fonds plats, des fragments de panses de vases à carène fortement marquée de type 'pichet'.

Sur l'atelier de fabrication de perles en coquillages marins du Moulin à Durban-Corbières, seule une dizaine d'objets est caractéristique sur un ensemble de 210 fragments de céramiques répertoriés. Il s'agit de bords ourlés, d'un petit bord droit, d'un cordon horizontal digité situé sous le bord, d'un cordon horizontal digité sur panse, d'un fragment de vase à forte carène, de départs d'anses en ruban et d'un petit fond plat.

Bien qu'assez pauvre en matériel archéologique, ce site possède une couche unique et ne comporte aucun remaniement. Le mobilier découvert signe une occupation temporaire au Bronze ancien/moyen.

Le mobilier lithique

Sur l'ensemble des ateliers de fabrication de perles, le mobilier lithique caractéristique est relativement pauvre. Les nombreux éclats en silex cachelonné blanc de mauvaise qualité qui peuvent être recensés constituent, hormis les fragments de coquilles de cardium edule, la majeure partie du mobilier archéologique. Le matériel caractéristique, peu abondant, est représenté par des flancs de nucleus, des armatures de flèches à pédoncule - généralement long - et ailerons, des fragments de lames et des outils à base de lames, dentés.

L'atelier du Moulin à Durban-Corbières a livré 52 éclats de silex en couche et quelques centaines en remanié de surface, vraisemblablement de provenance locale - dans les Corbières, le silex est assez rare et ne se trouve que sous forme de petits filons d'un silex de mauvaise qualité - et quelques objets plus caractéristiques tels que des fragments de lames, un outil denté et une armature de flèche à pédoncule et ailerons qui a été retrouvée dans le mobilier de la collection de Gérard Abet. Ce mobilier, assez pauvre, permet quand même d'attribuer au site une date du Bronze ancien/moyen, notamment grâce à la présence des armatures de flèche d'un type assez caractéristique.


Les ateliers de fabrication de perles en coquillage

Mobilier domestique :

En règle générale, tous les matériaux proviennent du massif des Corbières. S'il n'est pas possible de se prononcer sur l'origine des céramiques par manque d'analyses poussées, il est par contre probable que le silex soit de provenance locale. De très mauvaise qualité, il se rapproche du silex qui existe sous forme de petits filons dans le massif des Corbières.

Sur l'ensemble des ateliers de fabrication de perles, mais en particulier sur le site du Moulin à Durban-Corbières, de nombreux fragments de grès rouge ont pu être répertoriés. Si ce grès se rencontre dans le massif des Corbières, il n'en existe pas aux environs de Durban-Corbières. Il a donc été transporté sur une distance de dix à vingt kilomètres. Ce grès se retrouve le plus souvent sous la forme de petits fragments grossiers. Certains cependant possèdent des aplats travaillés formant des surfaces de meules. Le fait que ces objets ne se rencontrent que sur les ateliers de fabrication de perles permet de penser qu'ils sont directement liés au façonnage de ces dernières. Ils ont certainement servi à polir les surfaces des ébauches, et peut-être à en arrondir les bords.

Les coquillages :

Sur le site du Moulin à Durban-Corbières, il a été retrouvé 565 fragments de coquilles de cardium edule, dont 7 entières. Les autres coquillages sont minoritaires puisque, toutes espèces confondues, on ne retrouve que 9 fragments d'autres coquilles dans la couche archéologique. Les ébauches sont au nombre de 30 dans la couche en place. Une vingtaine d'autres ont été retrouvées en prospection de surface.

Les mollusques représentent le groupe zoologique le plus important après celui des insectes. Il existe sur terre entre 200 000 et 500 000 espèces de coquillages. Les bivalves représentent la deuxième famille des mollusques, la première étant celle des gastéropodes. La coquille des bivalves est constituée de deux valves articulées qui s'entrouvrent quand l'animal s'alimente. Les branchies font office de filets qui filtrent le plancton. Les bivalves vivent sur le fond de la mer ou se fixent aux rochers. Les coquilles sont constituées de sels de carbonate de calcium et de protéines tel que la conchioline. Elles sont élaborées par l'animal et codifiées par des gènes. Elles sont l'armature protectrice qui les protège des prédateurs. Elles ont évolué en fonction des techniques de chasse de ces derniers.

Les différents sites manufacturiers des Corbières recèlent un nombre très limité d'espèces de coquillages. Hormis les Cardium edule (Linnaeus) - que l'on trouve dans les sables infralittoraux - et qui servent à confectionner des éléments de parures, on peut découvrir quelques Dentalium antalis (Linnaeus) qui sont également utilisés comme éléments de parure, ainsi que des Nucula placentina qui se rencontrent dans les vases et les sables infralittoraux. Cette dernière espèce était très certainement consommée, mais sa coquille n'a jamais été employée en élément de parure.

La provenance des coquilles qui se retrouvent sur les ateliers de fabrication de perles ne pose pas trop de problèmes. La Méditerranée, distante d'une vingtaine de kilomètres, a dû fournir cette matière première en abondance. S'il a été possible d'aller chercher les coquillages sur le littoral, il est plus probable qu'ils aient été ramassés dans le Lagus Rubrensus, ancien golf occupant l'emplacement actuel de la ville de Narbonne. Fermé en partie par les îles du Lec, actuel massif de La Clape, il s'étendait à l'intérieur des terres et se trouvait donc plus proche des différents ateliers qui parsèment les Corbières. Cette zone infralittorale qui regroupe à la fois la bordure méditerranéenne et le Lagus Rubrensus est l'endroit o˜ se rencontre la plus grande diversité d'organismes marins, notamment les cardium edule. Dans cette zone comprise entre 0 et 40 mètres de profondeur, il n'existe quasiment pas d'écart de température et de salinité. Grâce au fort éclairement, les algues et les micro-organismes y abondent, qui vont permettre aux mollusques de se développer. Tous les coquillages découverts sur les sites des Corbières sont des espèces qui vivent soit dans la vase, soit dans le sable de la bordure infralittorale qui constituent la niche écologique du Lagus Rubrensus et de la côte méditerranéenne en cet endroit.

A partir de ce golf, il existe un passage aisé vers l'intérieur des terres par la vallée de l'Aude, puis par des vallées relativement vastes qui pénètrent dans le massif des Corbières au nord.

Façonnage des perles.

A partir du mobilier recueilli sur les différents sites explorés sur le terroir de Durban-Corbières - et plus particulièrement sur le site du Moulin - il est possible de reconstituer le mode de fabrication des perles en coquillages et d'observer les différentes étapes d'ébauche des perles au cours de cette fabrication. Ces perles sont essentiellement façonnées à partir de coquilles de cardium edule de différentes tailles. A partir d'un coquillage entier, il est possible d'étudier les stades successifs de la fabrication.

  • 1er stade d'ébauche
    A partir d'un fragment de valve de coquillage assez significatif pour être travaillé, l'artisan va essayer de créer une pièce d'une forme grossièrement circulaire à l'aide d'un petit percuteur. Ce travail peut donner des résultats plus ou moins heureux, et il arrive que la première ébauche soit carrée ou triangulaire à défaut d'être polygonale ou circulaire. Ces tentatives sont difficiles à identifier parmi les déchets de taille extrêmement nombreux. A ce stade, la taille des ébauches varie considérablement, notamment pour les petites perles.
  • 2eme stade d'ébauche
    Le fragment de coquille de cardium edule taillé en rond va ensuite être abrasé sur sa face externe. Cette action a pour but d'obtenir une plage plane et très lisse pour remplacer les stries de la coquille de cardium edule. Sur certaines perles, la face externe du coquillage n'ayant pas été suffisamment abrasée laisse apparaître les côtes et les sillons radiaires de la coquille d'origine.
  • 3eme stade d'ébauche
    La face interne de la coquille est à son tour abrasée. La courbure naturelle de la coquille va donner l'impression d'une abrasion en couronne, puisque dans un premier temps, seuls les bords externes vont subir cette action.
  • 4eme stade d'ébauche
    Nous avons donc un disque de coquillage vaguement circulaire ou polygonal, abrasé sur ses faces interne et externe. Le percement du trou de suspension peut alors être entrepris. Il s'effectue à partir de l'intérieur de la coquille à l'aide d'un outil pointu et assez large, très certainement un perçoir en silex. Cela confère à l'orifice une forme conique régulière, évasée vers l'extérieur. Ce percement est réalisé jusqu'à perforer totalement la coquille. Certaines des ébauches retrouvées possèdent un début de percement qui n'a pas abouti car la coquille s'est fendue avant la fin de l'opération.
  • 5eme stade d'ébauche
    Une fois le creusement effectué à partir de l'intérieur, le trou de suspension va être agrandi en retournant la coquille pour exercer une action de perçage à partir de la face externe. Cette double intervention va donner au trou une forme biconique en opposition, c'est-à-dire que les cônes se rejoignent par leur sommet.
  • 6eme stade d'ébauche
    Les contours de l'ébauche qui jusque là n'avaient encore subi aucune mise en forme définitive vont être abrasés afin d'obtenir un produit fini régulier, calibré et parfaitement lisse.La perle va pouvoir être utilisée pour être montée en parure de collier.

Les outils de façonnage des perles.

Le mobilier recueilli comporte de nombreuses perles finies. On trouve également de nombreuses plaques de grès rouge très fin. Cette roche n'est pas d'origine locale. Elle provient certainement du massif des Corbières, mais nous n'avons connaissance d'aucun gisement dans le canton de Durban-Corbières. Ces minéraux ont très certainement servi à l'abrasion des coquillages. Il s'agit du seul mobilier qui puisse être rattaché de façon certaine à la fabrication des perles. Pour le silex, son emploi dans la fabrication, s'il s'avère nécessaire, n'est pas attesté de façon formelle. Il n'existe pas d'outils spécialisés dans le façonnage des perles. Il n'a pas été trouvé de perçoirs, qui devaient pourtant servir à forer la coquille de cardium edule. Un seul outil se retrouve parfois sur les ateliers de fabrication de perles. Il s'agit d'une sorte de lame dentelée qui pouvait être utilisée pour découper le coquillage pour façonner la première ébauche.


Palethnographie

De l'utilisation des coquillages au cour des temps

Sur l'ensemble de la planète et à toutes les périodes, les coquillages ont été utilisés à des fins diverses. De la consommation du mollusque à l'utilisation des coquilles en parure ou en guise de monnaie, les coquillages ont toujours suscité l'intérêt des populations maritimes. Ils ont tout d'abord servi de nourriture, comme l'attestent des dépôts de coquilles de plus de trois cent mètres de longueur sur trois mètres de hauteur le long des côtes européennes, américaines et africaines. Des récoltes qui remontent à la préhistoire. Ces dépôts sont les déchets de cuisine de nos ancêtres du paléolithique et du mésolithique. Ceux-ci avaient d'ailleurs des préférences : En France, ce sont des restes d'huîtres; au Maroc, des moules et en Angola, des arches. Cependant, les pêches intensives de coquillages dépeuplent des côtes entières.

Au Néolithique, les coquillages seront encore abondamment utilisés par les peuples du littoral. De nombreux restes de coquillages se retrouvent sur les sites côtiers de cette période. Après avoir découvert les qualités alimentaires des coquillages, les hommes ont exploré diverses utilisations de la coquille : fabrication d'hameçons, d'instruments de musique, d'ustensiles de cuisine et d'outils. En Amérique du nord, les peuples amérindiens de l'Archaique laurentien utiliseront les coquilles de moules comme grattoir pour tanner les peaux et les débarrasser de la graisse et des poils avant de les fumer. Le coquillage va aussi servir d'objet de parure sous forme brute ou travaillée. Quelques ateliers de fabrication de parures et d'objets, de différentes époques, se retrouvent sur l'île d'Oleron à Saint-Georges-d'Oleron - Néolithique final -, sur les bords de l'étang de Berre à Châteauneuf-les-Martigues, à Riaux 1 dans la banlieue marseillaise (L'Estaque) - Cardial récent -, dans le massif des Corbières - Bronze ancien - et en Catalogne espagnole à Reclau Viver et à Pau III - Néolithique ancien -.

Représentatives de la position sociale de l'individu, les coquilles ornaient les parures des individus. Dans la vie politique des Grecs, aux environs de 500 ans b.c., les valves d'huîtres plates servaient de bulletin de vote. Les membres de l'ecclésia gravaient sur ces " ostraca " (coquille, en grec) le nom du politicien à bannir pour 10 ans. D'ou le terme d'ostracisme ! Au Moyen-Âge, et jusqu'au XIXème siècle, les fruits de mer constituaient le menu quotidien des nécessiteux des régions côtières. Ils étaient pêchés librement et ne nécessitaient pas de cuisson, donc de combustible. De nos jours, certains peuplent ornent encore leurs parures de coquillages. Ces derniers furent également utilisés comme monnaie. Leur présence est attestée dans des sépultures préhistoriques. On retrouve des Cypr moneta en Égypte, en Russie près de la mer Caspienne, en Allemagne et dans les pays scandinaves sur les bords de la baltique. D'autres coquillages ont été retrouvé en Chine, qui remontent à 2000 ans b.c. Dans ce même pays, lorsqu'apparurent les premières monnaies de métal, vers 600 b.c., celles-ci ressemblaient à de petits coquillages de porcelaine. En Amérique du nord, les " wampums ", des coquillages blancs et noirs, enfilés en colliers, servaient à s'acquitter de toutes les dépenses courantes jusqu'à ce que l'afflux de fausse monnaie - coquillages contrefaits - contraigne le gouvernement à les proscrire au XIXème siècle. Les Amérindiens se faisaient enterrer avec leur " wampum " qui devenait ainsi une parure pour le défunt.

Parmi les tribus du nord-ouest de la côte du Pacifique, en Colombie britannique et en Alaska, les petites dents, polies, Dentalium pretiosum, étaient utilisées comme monnaie. Ces univalves tubulaires se prêtaient idéalement à la mise en collier, car ils étaient ouverts aux deux extrémités. Cependant, ils étaient difficiles à ramasser, ce qui explique leur valeur. Utilisés comme monnaie - appelée " haik-wa " - les coquillages étaient enfilés sur des longueurs de deux mètres environ soit la distance de deux bras étendus. Les coquillages plus petits ou de moindre qualité, enfilés en longueurs différentes et que l'on appelé " kop-kop ", étaient utilisés pour rendre la monnaie. Les indiens portaient sur eux leurs richesses en collier car leurs vêtements ne comportaient pas de poches. Pour ces indiens, l'effondrement du cours du coquillage coincida avec l'arrivée des trappeurs de la Hudson Bay Company qui leur offrirent en échange des fourrures et autres laines chaudes.

Dans le Pacifique, la fin du trafic des esclaves - qui s'achetaient contre deux espèces de cônes - fit s'effondrer le cours des coquillages à la fin du siècle dernier. Seules, les tribus des îles Salomon en Polynésie utilisent encore cette monnaie. Les coquillages sont récoltés par les tribus côtières qui se sont spécialisées dans la fabrication de monnaie. Le coquillage est tout d'abord épannelé pour prendre la forme d'un petit disque. Un mouvement de va-et-vient sur une meule dormante avec de l'eau et du sable va permettre de polir l'extérieur, puis l'intérieur de la coquille avant que celle-ci soit perforée à partir de l'intérieur avec un perçoir en silex monté sur un archet. Ce dernier est actionné à la main alors que l'extrémité proximale de l'outil est placée sous la lèvre inférieure de l'artisan. Les perles encore grossièrement taillées sont ensuite montées sur un fil qui permettra de les maintenir pendant le calibrage. Celui-ci est effectué à l'aide d'un galet à encoche qui enveloppe le collier. En lui donnant un mouvement de va-et-vient sur une meule dormante, on polit les bords externes des perles. Ce sont généralement les femmes qui s'occupent du façonnage des perles pendant que les hommes ramassent les coquillages au fond de l'océan, à une profondeur de cinq à dix mètres. Les colliers terminés servent de monnaie d'échange avec les peuples situés à l'intérieur de l 'île. La valeur monétaire varie en fonction de la beauté des perles, de leur couleur, de leur régularité et de la façon dont est monté le collier.


Diffusion des perles en coquillage

Ces perles terminées se retrouvent en grande quantité, en contexte funéraire, grottes et dolmens de la région des Corbières. Leur présence homogène sur l'ensemble du massif et leur présence uniquement dans les sites funéraires ne permet pas de dégager des voies de circulation précises. Il semblerait que la production ait diffusé tout autour des ateliers de fabrication et se soit répartie sur l'ensemble du massif par le biais d'échanges. Le fait de retrouver des fragments de coquilles qui ne pouvaient servir à la confection de perles indique clairement que les coquillages étaient ramenés entiers à l'intérieur des terres. Sachant que le premier stade d'ébauche d'une perle ne demande qu'environ un cinquième d'une valve de coquillage et que l'on retrouve ces derniers jusqu'à une quarantaine de kilomètres à l'intérieur des terres, il faut donc penser que ceux-ci ont été amenés entiers à d'autres fins que celle d'en extraire des perles. On peut se demander o˜ est l'intérêt de ramener une telle quantité de coquilles pour n'en conserver qu'1/5ème, si ce n'est dans un but alimentaire. De petits coquillages et escargots de mer ont été retrouvés sur certains ateliers. Ces espèces vivent dans les algues, et leur taille ne permettait pas de les ramasser individuellement. Le transport d'algues et de coquillages à l'intérieur des terres est donc attesté pour cette période du Bronze ancien. Si le fait est patent sa signification et son utilité restent obscures. Les algues étaient-elles consommées, ou bien servaient-elles de paillasses, ou encore pour conserver une certaine fraîcheur aux coquillages qui étaient amenés à l'intérieur des terres pour être consommés ? Si les questions soulevées sont nombreuses, il est peu probable que l'on puisse y répondre un jour en l'absence de conservation de certains éléments putrescibles. En tout état de cause, le transport des fruits de mer profondément à l'intérieur des terres en vue de leur consommation suppose un système économique et un réseau de circulation relativement élaborés.


Conclusion

Si l'on considère le massif des Corbières à l'âge du Bronze ancien, il ne faut pas y voir un ensemble de populations homogènes possédant une culture identique, avec ses rites et ses pratiques. Si l'on prend en considération tous les vestiges archéologiques connus se rapportant à cette période, on se rend compte que le massif est découpé en micro-régions possédant chacune ses caractéristiques. Ces dernières peuvent être climatiques, géologiques ou écologiques, mais elles se retrouvent aussi dans l'anthropisation, les pratiques et les cultures humaines.

Cette différence est visible à différents niveaux. Par exemple, dans le massif de la Clape à l'est de Narbonne, la prédominance de la consommation de tortues est attestée et a dû jouer un rôle important dans l'économie alimentaire et culturelle de ces groupes pour se retrouver dans les sépultures sous forme de vestiges fauniques ou sous forme d'amulettes en os. En outre, cette région a vu l'utilisation des grottes à vocation funéraire et une totale absence de mégalithes, alors que le reste des Corbières possède de nombreux dolmens. La présence de gravures met aussi en évidence une pluralité de rites ou de pratiques. Les Corbières peuvent être séparées en deux partie distinctes : une au sud avec la présence de gravures, généralement en forme de croix, et une au nord sans gravures. Cette diversité existe aussi au niveau des habitats qui sont importants en plaine, et plus réduits, à vocation mobile, dans le reste des massifs. Économiquement, cette séparation est plus marquée avec des micro-régions de production comme la fabrication d'anneaux-disques en cloritoschiste dans la région de Montalba-le-Château. Production qui s'est répartie tout autour de ce centre de production sur moins d'une dizaine de kilomètres de rayon.

Les ateliers de fabrication de perles en coquillages ne dérogent pas à la règle. Ils se limitent à une aire restreinte à l'intérieur du massif des Corbières. Pourtant, les perles finies se retrouvent fréquemment sur l'ensemble du massif et dans les régions avoisinantes, mettant en évidence une économie à grande distance malgré la diversité des groupes rencontrés. Cela pourrait signifier que les parures en coquillages possédaient une plus grande importance que la simple utilisation des perles en ornement.

Le fait de ne rencontrer ces ateliers que dans une aire limitée du massif des Corbières laisse penser à une hyper-spécialisation d'un groupe d'individus dans la confection de ces perles. Ce groupe, repassant régulièrement par la mer pour y collecter sa matière première, pouvait être itinérant, se déplaçant sur un territoire défini pour échanger ou vendre sa production. La preuve de leur non-sédentarisation est attestée par les indices d'une présence passagère sur les sites ; le peu de matériel laissé sur place, l'absence de structures en 'dur' sur les stations. Sur une quarantaine d'ateliers de fabrication de perles en coquillage, seul un site situé sur la commune de Fontjoncouse laisse présager la présence d'un habitat en gros matériaux.

Sur l'ensemble des sites prospectés, il existe une constante dans la fabrication et le calibrage des perles. On retrouve des similitudes à la fois dans les perles finies mais aussi dans les ébauches et leurs différents stades de fabrication. Cela implique que ce sont sûrement les mêmes groupes humains disposant des mêmes matériels qui ont investi les différents sites, ayant pour dessein une production calibrée en vue d'une utilisation finale sûrement importante. L'impact économique d'activités aussi spécialisées et aussi structurées ne devait pas être négligeable pour les groupes producteurs. Cela devait nécessiter la présence de spécialistes à plein temps au sein d'une communauté dont la subsistance dépendait étroitement de l'écoulement de la production au sein d'un réseau économique structuré.

Les prospections menées sur les autres sites fournissent les mêmes résultats : de nombreux fragments de coquilles de cardium edule, de rares fragments de céramique, quelques éclats de silex et une homogénéité dans des artefacts qui ne se mélangent jamais avec des périodes antérieures ou postérieures. Cette similitude entre les sites et l'omniprésence des coquilles de cardium edule permettent de penser que ces stations étaient dédiées à l'élaboration des perles en coquilles de cardium edule et n'étaient pas de petits sites d'habitat o˜ un artisan aurait écoulé sa production personnelle. D'ailleurs, l'absence quasi totale de structures d'habitat permet de penser que les habitants vivaient sur un modèle d'itinérants voués à la diffusion de leur manufacture.